Dans une nouvelle enquête, Greenpeace révèle que des entreprises françaises sont liées au trafic de bois illégal endémique qui détruit l’Amazonie brésilienne.

Forêts

Bois illégal en Amazonie :
la France impliquée

Dans une nouvelle enquête, Greenpeace révèle que des entreprises françaises sont liées au trafic de bois illégal endémique qui détruit l’Amazonie brésilienne.

Un trafic qui perdure

Malgré la mise en place de nouveaux systèmes de contrôle dans le secteur du bois brésilien, le trafic perdure à grande échelle. En comparant, dans un nouveau rapport, les évaluations scientifiques avec celles des documents officiels, il apparaît que 77 % des plans d’exploitation délivrés dans l’État du Pará dans lesquels l’arbre ipé (une essence précieuse et rentable, autour de 2000 euros le mètre cube) est classée comme exploitable, comportent des traces flagrantes de fraudes. Parfois, le volume déclaré est 10 fois supérieur au volume réel présent dans une concession.

Ces résultats ont été recoupés par une investigation de terrain sur six parcelles sujettes à des plans d’autorisation de coupe : à chaque fois, des fraudes ont été constatées.

Membre de Greenpeace Brésil effectuant, aux côtés de l'Agence brésilienne de l'environnement, des inspections de terrain dans certaines concessions de l'État du  Pará. Octobre 2017.

Membre de Greenpeace Brésil effectuant, aux côtés de l’Agence brésilienne de l’environnement, des inspections de terrain dans certaines concessions de l’État du Pará. Octobre 2017.
© Marizilda Cruppe / Greenpeace

Une manœuvre bien rodée

La manœuvre est relativement simple : il s’agit de surestimer le nombre d’arbres ipé présents et mûrs pour la récolte dans la zone soumise à une autorisation d’exploitation. Pourquoi ? Parce que chaque arbre donne lieu à des crédits qui permettent de commercialiser les arbres. Si l’inventaire est artificiellement gonflé, les forestiers véreux vont ensuite aller chercher du bois là où c’est interdit : sur les terrains publics, dans les réserves naturelles où sur les territoires autochtones, ce qui crée invariablement des violences meurtrières.

Pour ce faire, il existe trois astuces principales. La première consiste à prendre une essence pour une autre, soit : à faire identifier comme arbre ipé un arbre d’une autre espèce, qui sera parfois coupé dans la concession et dans bien des cas gaspillé (histoire d’avoir quand même une souche identifiée sur place). La seconde consiste mentir sur le diamètre des ipés présents pour donner l’illusion qu’ils sont exploitables. La troisième, encore plus simple, consiste tout simplement à inventer purement et simplement des arbres qui ne se trouvent pas sur la concession.

Les comptes sont ainsi truqués au niveau de la scierie (qui appartient souvent à l’entreprise qui effectue les prélèvements de bois sur le terrain), où les troncs récoltés légalement sont mélangés avec ceux récoltés illégalement. Au final, les volumes en sortie de scierie atteignent ceux qui figurent frauduleusement sur les documents officiels. Et comme la fraude a lieu à la source, lors de l’inventaire qui donne lieu à l’autorisation de coupe et aux crédits commerciaux qui vont avec (avec un numéro officiel et permanent pour chaque arbre) elle est ensuite impossible à détecter.

Inspection d'exploitations forestières, dans l'Etat du Pará au Brésil en octobre 2017.

© Marizilda Cruppe / Greenpeace

Des entreprises françaises impliquées

L’enquête montre que 19 entreprises se sont fournies en bois ipé extrait de concessions sujettes à des plans d’exploitation frauduleux. Elles ont donc pu revendre en France du bois récolté en dehors de la légalité, destiné ensuite aux parquets du consommateur, à l’ameublement extérieur, etc. Elles se nomment, entre autres : Ets Pierre Robert & Cie, ISB France, SAS Peltier, la Société atlantique des bois importés et la Compagnie européenne des bois. De mars 2016 à septembre 2017, 3002 mètres cubes de bois ipé ont ainsi été importés par des entreprises françaises.

En 2013, le Règlement bois de l’Union européenne était adopté, notamment sous la pression de Greenpeace. Il oblige les importateurs de bois à mettre en place une “diligence raisonnée”, c’est-à-dire un système de traçabilité et de gestion du risque qui remonte jusqu’au producteur. Cinq ans après l’adoption de cette réglementation, les importateurs ne peuvent plus se cacher derrière la documentation officielle du Brésil.

D’autant que Greenpeace dénonce depuis plusieurs années maintenant ce type de fraude (avec ce rapport, ou celui-ci, par exemple), ce qui devrait inciter les importateurs à une vigilance décuplée (d’autant que la loi demande aux importateurs de prendre en compte les alertes des ONG). Il est clair depuis longtemps que le bois en provenance d’Amazonie n’est pas fiable.

Nous demandons donc aux importateurs de cesser d’acheter du bois brésilien s’ils ne peuvent démontrer qu’il a été vérifié dès l’origine par une tierce partie indépendante, et s’il ne peuvent assurer régulièrement des visites de terrain sur les concessions d’où proviennent leurs marchandises. Nous leur demandons aussi de pousser le gouvernement brésilien à mettre œuvre un système de contrôle centralisé et intégré entre les différents États fédérés qui se trouvent en Amazonie.

© Marizilda Cruppe / Greenpeace

La responsabilité du gouvernement français

4 mars 2015 : les activistes de Greenpeace livrent un tronc d’arbre tropical de 4 tonnes et 8 mètres 50 devant le Ministère de l’Environnement français. Cette action a eu lieu deux ans après l’entrée en vigueur du RBUE, destiné à stopper les importations de bois illégal en Europe.

La surexploitation de l’ipé favorisée par les coupes illégales menace directement cette espèce rare. En outre, la dégradation forestière est le premier pas vers la déforestation et contribue activement au réchauffement climatique, à la crise actuelle de la biodiversité et aux violences commises contre les populations locales et autochtones. L’année dernière, 6624 km2 de forêt ont été détruits en Amazonie, et 20 % de cet écosystème essentiel à la planète a disparu au cours des 20 dernières années.

Il est impératif que les ministères de la Transition écologique et solidaire et de l’Agriculture se décident à appliquer plus fermement la loi. Pour le moment, Greenpeace constate que trop peu de contrôles sont effectués, et que trop peu de sanctions sont prises quand des manquements sont constatés. La justice elle aussi doit être saisie plus régulièrement et cesser d’être passive face aux crimes environnementaux. Car aujourd’hui, l’action de l’État n’est pas de nature à dissuader les importateurs français de fermer les yeux sur leurs importations suspectes.

Hasard du calendrier, la France a justement l’occasion de passer à la vitesse supérieure dans la lutte contre le bois illégal. Sous la houlette de Nicolas Hulot, elle travaille en effet à une Stratégie nationale sur la déforestation importée, pour répondre notamment à l’axe 15 du Plan climat annoncé à l’été 2017. Si une action ferme et ambitieuse n’est pas retenue lors des négociations en cours, la France continuera d’être  touchée par ce type de scandales environnementaux et de trahir tous ses engagements écologiques sur la scène internationale.