Total a annoncé ce mercredi 5 mai 2020 prendre de nouveaux engagements pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais lorsqu’on y regarde de plus près, ces engagements ne sont rien d’autre qu’un écran de fumée visant à préserver les objectifs financiers de l’entreprise et des dividendes pour les actionnaires. Comme dans ce genre de cas le diable se cache dans les détails, nous vous proposons un décryptage complet de ces annonces.

Climat

Total abandonne le pétrole et le gaz ?

Total a annoncé ce mercredi 5 mai 2020 prendre de nouveaux engagements pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais lorsqu’on y regarde de plus près, ces engagements ne sont rien d’autre qu’un écran de fumée visant à préserver les objectifs financiers de l’entreprise et des dividendes pour les actionnaires. Comme dans ce genre de cas le diable se cache dans les détails, nous vous proposons un décryptage complet de ces annonces.

Les engagements de Total prennent la forme d’une déclaration conjointe déposée avec un groupe d’investisseurs menés par BNP Paribas et Hermes EOS. Pour rappel, il y a quelques semaines à peine, un groupe de 11 investisseurs avaient d’ores et déjà déposé une résolution climat plus ambitieuse qui peut permettre à l’entreprise, si elle est adoptée, de s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris. Alors pourquoi ce nouvel engagement, si ce n’est pour contrer et effacer la résolution déposée précédemment ?

Lire notre article : Des actionnaires se rebiffent et déposent une résolution climat

Les engagements de Total

Avant de se plonger dans les annonces de Total, plusieurs choses sont à avoir en tête qui aideront à mieux comprendre leur vacuité.

Les scopes : kézako ?

Il est fait référence aux “scopes” pour évaluer les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise ou d’un produit. En l’occurrence, pour ce qui est de Total, ils permettent de savoir quelle quantité de gaz à effet de serre liée à leur activité est rejetée dans l’atmosphère. Il existe différents niveaux, différents scopes, qui ne recouvrent pas tous les mêmes activités.

SCOPE 1 : ce sont toutes les émissions directes de gaz à effet de serre, provenant des installations fixes ou mobiles situées à l’intérieur du périmètre organisationnel (les plateformes pétrolières, les raffineries…), c’est-à-dire les émissions provenant des sources détenues ou contrôlées par l’entreprise.
Exemples : la combustion des sources fixes et mobiles, les procédés industriels hors combustion, les émissions des ruminants, le biogaz des centres d’enfouissements techniques, la fertilisation azotée, les biomasses    …

SCOPE 2 : ici, il s’agit des émissions indirectes liées aux consommations d’énergies nécessaires aux activités de l’entreprise (consommation et production d’électricité, de chaleur, de vapeur).

SCOPE 3 : ce sont les autres émissions indirectement produites par les activités de l’organisation qui ne sont pas comptabilisées dans le scope 2 mais qui sont liées à la chaîne de valeur complète (de l’extraction à la consommation du produit final).
Exemples : l’achat de matières premières, de services ou autres produits, les déplacements des salariés, le transport amont et aval des marchandises…

Intensité carbone VS émissions de carbone en valeurs absolues

L’intensité carbone d’une entreprise ou d’une activité n’est pas la même chose que les émissions de carbone en valeurs absolues liées à cette même entreprise ou activité. Ce sont deux méthodes de calcul différentes.

L’intensité carbone se calcule sur la base des émissions de carbone liées à la production d’une unité. Pour ce qui est de Total, l’unité est le baril de pétrole ou le mètre cube de gaz. Donc l’intensité carbone ne reflète que les émissions de GES liées au remplissage des barils de pétrole ou à la production d’un mètre cube de gaz.

Les émissions carbone en valeurs absolues sont les émissions de gaz à effet de serre réellement rejetées dans l’atmosphère. Ce ne sont pas uniquement les émissions de GES liées à la vente des barils et du gaz. Sur le plan du changement climatique, c’est bien la quantité des émissions mondiales de gaz à effet de serre en valeur absolue qui importe.

La neutralité carbone est l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine et leur retrait de l’atmosphère par les humains. La neutralité carbone est atteinte lorsque le résultat est nul.

Les engagements de Total décryptés

Maintenant que vous avez tous les éléments en tête, revenons point par point sur les trois engagements de la compagnie pétrolière.

1. Un objectif de neutralité carbone qui ne cible pas les activités les plus émettrices de gaz à effet de serre

Dans son premier objectif, Total fait discrètement abstraction du scope 3 (si vous avez besoin d’une piqûre de rappel, c’est ici). Sauf qu’en ce qui concerne Total, le scope 3 représente 90 % des émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise. Ce sont les émissions de carbone liées à la vente de carburant. Oui, c’est énorme ! Où est l’ambition climatique lorsque les engagements ne ciblent pas les activités les plus émettrices ? Nous cherchons encore. Cet objectif est un leurre. Cela ne permettra pas à l’entreprise de s’aligner sur l’Accord de Paris, contrairement à ce qu’elle prétend.

Un vrai engagement climat aurait été de cibler les émissions carbone des trois scopes, comme cela a été proposé par le groupe de 11 investisseurs ayant déposé une résolution climat mi-avril. Pour être à la hauteur, Total doit changer de modèle économique et programmer l’arrêt de la production de pétrole et de gaz, ce qui n’est toujours pas le cas. La diminution de la production de pétrole et de gaz est la seule manière de réduire réellement les émissions de GES et de s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris.

2. Un engagement à respecter la loi

Dans son deuxième engagement, Total vise bien la neutralité carbone des activités des trois scopes, sauf que… cela ne concerne que l’Europe. Encore une occasion ratée d’associer les actes à la parole lorsqu’il s’agit d’ambition climatique.

La multinationale présente cet engagement comme une annonce exceptionnelle alors qu’elle va seulement respecter la réglementation européenne du Green Deal, dans lequel est inscrit l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Total qui se félicite de respecter la loi, c’est quand même cocasse.

Elle se donne surtout un permis de polluer dans le reste du monde. Aujourd’hui, 60 % des émissions de la compagnie pétrolière sont hors Europe, et cela n’est pas prêt de changer puisque le développement de ses activités se fera à l’avenir principalement en dehors de l’Europe. Total prévoit notamment un projet d’extraction pétrolière en Ouganda et un autre d’extraction gazière au Mozambique, qui sont de véritables bombes climatiques. Si Total souhaite réellement s’engager pour le climat, ses investissements dans les énergies fossiles doivent cesser.

3. L’intensité carbone n’est pas le bon référentiel

Comme expliqué précédemment, l’intensité carbone ne prend en compte que les émissions de GES liées à la production des barils de pétrole et des mètres cube de gaz. Or, il est absolument impératif de se référer au volume de GES réellement rejeté dans l’atmosphère (le volume en valeur absolue, qui concerne absolument toutes les émissions, directes et indirectes de GES), sans quoi ces annonces ne sont que du greenwashing et une stratégie pour continuer à forer toujours plus de puits de pétrole et de gaz. En se basant sur le calcul de l’intensité carbone, Total pourra continuer ses projets d’exploration d’hydrocarbures, en affichant une baisse de son intensité carbone alors que les émissions réelles de GES ne diminueront pas. Pure stratégie de communication.

Pas de feuille de route précise

En plus de tout cela, Total n’a fourni aucun plan précis quant à la manière dont il compte atteindre tous ses objectifs. Alors que c’est la seule manière de réduire réellement les émissions de gaz à effet de serre, il n’est fait aucune mention de la réduction des investissements dans le pétrole et le gaz.

Ces objectifs vont simplement permettre à l’entreprise de continuer à exploiter toujours plus d’hydrocarbures, en mettant en avant de fausses solutions comme la compensation carbone et la capture et le stockage de carbone. Pour rappel, il n’existe à ce jour aucune technologie permettant de capturer et stocker le carbone à l’échelle industrielle. La recherche en est à un stade embryonnaire et nous n’avons pas le temps d’attendre un quelconque miracle industriel.

L’urgence et la seule chose à faire pour s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris, c’est initier sérieusement la transition énergétique, en fermant les vannes du pétrole et du gaz. Concrètement, cela signifie qu’il faut annuler tous les nouveaux projets d’exploration ou d’exploitation pétrolière ou gazière, pour préserver les emplois sur le long terme, plutôt que de se réveiller et pleurer en 2049.

Si l’entreprise souhaite réellement se transformer, les actionnaires doivent adopter la résolution déposée le 15 avril par un groupe d’investisseurs menés par Meeschaert. Rendez-vous le 29 mai, pour l’Assemblée générale des actionnaires.