Le Salon de l’agriculture ouvre ses portes aujourd’hui. L’occasion pour toutes les organisations du monde agricole de faire valoir leur vision, pour le meilleur et pour le pire ! 

Nous en profitons pour vous proposer le décryptage d’un acteur clé du monde agricole : le réseau des Chambres d’agriculture. Qui sont-elles et que font-elles ? En quoi contribuent t-elles (ou non) au développement d’une agriculture écologique ?

Agriculture

Quand des Chambres d’agriculture oublient leur mission première

Le Salon de l’agriculture ouvre ses portes aujourd’hui. L’occasion pour toutes les organisations du monde agricole de faire valoir leur vision, pour le meilleur et pour le pire ! Nous en profitons pour vous proposer le décryptage d’un acteur clé du monde agricole : le réseau des Chambres d’agriculture. Qui sont-elles et que font-elles ? En quoi contribuent t-elles (ou non) au développement d’une agriculture écologique ?

 


Les Chambres d’agriculture, à quoi ça sert?

Le réseau des Chambres comporte trois échelons d’organisation : un niveau national, avec l’APCA (Assemblée permanente des Chambres d’agriculture), un niveau régional avec 13 Chambres d’agriculture, et un niveau local avec 91 Chambres départementales ou interdépartementales.

Elles ont été créées au début du 20e siècle pour représenter les intérêts agricoles auprès des pouvoirs publics, sur le même modèle que les Chambres de commerce ou d’artisanat. Une nouvelle mission, et non des moindres, leur a été attribuée avec la Loi d’Avenir pour l’agriculture : celle de contribuer au développement durable des territoires et des entreprises agricoles. Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport annuel, elles constituent donc “un relais naturel de l’Etat pour mettre en œuvre sa politique de développement agricole, désormais fondée sur la triple performance économique, sociale et environnementale”.

En théorie, un outil clé pour le développement d’une agriculture écologique

Etre le relais naturel de l’Etat, c’est donc également être le relais de son projet agro-écologique. Ce dernier comporte plusieurs plans d’action parmi lesquels le plan Ecophyto (dont l’objectif est de réduire l’usage des pesticides) et le programme Ambition Bio (qui vise à doubler la part des structures en bio d’ici 2017).

Magnifique, nous direz-vous ! Nous disposons donc en France de deux plans d’actions dédiés à la réduction de l’usage des phytos, ainsi que de 91 Chambres d’agriculture (inter)départementales pour accompagner, entres autres, les agriculteurs dans le changement.

Alors comment expliquer que l’usage de pesticides n’ait toujours pas significativement diminué ? Ces trois dernières années, nous avons pu constater une augmentation de 4,2% de l’utilisation agricole des pesticides en France.

S’il ne s’agit évidemment pas de la seule et unique raison : il est clair que certaines Chambres d’agriculture ne prennent pas la mesure des enjeux environnementaux et sanitaires derrière ces questions-là. Pourtant c’est en grande partie de l’argent public – notre argent – qui les finance.

En pratique, un manque de volonté politique
Un exemple révélateur : quand la chambre d’agriculture du Loiret fait la promotion des pesticides

Qu’elle ne fut donc pas notre surprise lorsque nous avons pris connaissance d’une lettre envoyée en juin 2016 par la Chambre d’agriculture du Loiret à plus d’une centaine d’agriculteurs adhérents d’un GDA (Groupement de développement agricole) pour faire l’apologie des pesticides.

A l’origine de cette lettre, le président de la Chambre du Loiret, Michel Masson, ainsi que le président de la Commission environnement, Jean-Jacques Hautefeuille. Ils souhaitent ainsi faire part aux agriculteurs adhérents d’éléments précis afin de “relativiser les risques que représentent les phytosanitaires”. Un propos pour le moins étonnant alors que les éléments scientifiques à charge se multiplient ces dernières années, et ce malgré le lobby incessant des entreprises du secteur.

Le président de la Chambre n’hésite pas à aller plus loin, en invitant un représentant de Syngenta à venir discuter lundi 27 février avec des élèves d’un lycée agricole (lycée qu’il préside également). Vive le débat constructif ! Enfin, “débat” reste un bien grand mot puisqu’il n’y aura personne pour débattre avec lui.

Les “supposés méfaits [des pesticides]” dont MM. Masson et Hautefeuille parlent dans cette lettre n’ont malheureusement plus rien de “supposés” et sont bien réels. Nous avons publié en 2016 deux rapports synthétisant la littérature scientifique concernant l’impact des pesticides sur la santé et sur l’environnement. Les conclusions de ces rapports sont sans appel. Alors pourquoi ne pas fournir également à ces agriculteurs adhérents d’un GDA des éléments précis sur les impacts des pesticides sur la santé et l’environnement ?

MM. Masson et Hautefeuille sont peut-être convaincus, à titre personnel, des bienfaits des pesticides. Soit. Sauf que la Chambre d’agriculture n’est pas un lieu où l’on impose ses convictions personnelles. Le rôle des Chambres d’agriculture est bien d’être un relais naturel de l’Etat comme évoqué précédemment et donc de son projet agro-écologique.

La Chambre d’agriculture du Loiret est loin d’être une exception. Des élus de Chambre qui oublient leurs missions, il y en a malheureusement un peu trop.

Des dérives récurrentes

Les exemples sont pléthore. Sur la question des pesticides encore, un agriculteur nous expliquait ainsi les difficultés rencontrées pour réussir à faire vivre un groupe de travail sur la réduction de l’usage des pesticides.

Au-delà des pesticides, certaines Chambres oublient régulièrement leur mission d’intérêt général. Comme lorsque la Chambre d’agriculture de la Mayenne ne fournit plus ses données et analyses techniques à L’Avenir agricole (le journal indépendant local) alors qu’Agri’53 (le journal départemental de la FDSEA) en a l’exclusivité. Ou encore lorsque la Chambre d’agriculture du Finistère offre un voyage d’études à ses élus à 80 000€ en pleine crise agricole.

Une des raisons qui expliquent ces dérives : la confusion des genres entre syndicalisme agricole majoritaire et Chambre d’agriculture

Parfois, on est un peu perdu entre ce qui relève de l’élu de Chambre et ce qui relève du syndicaliste FDSEA, les deux casquettes semblant régulièrement fusionner. Conséquence : les élus de Chambre font des faveurs à leur syndicat, on ne sait plus trop pourquoi ils sont là.

La Cour des comptes rappelle ainsi dans son rapport annuel que “certaines Chambres continuent à subventionner des syndicats d’exploitants agricoles, en contravention avec le principe de spécialité”. Elle dénonce également un “saupoudrage de subventions au profit de multiples organisations de développement agricole”. Et poursuit : “en plus des subventions directes qu’elles leur versent, les chambres d’agriculture octroient à ces associations des subventions en nature, sous forme de mise à disposition gratuites de personnels, de matériels ou de locaux, qui ne sont pas retracées dans leurs comptes.”

Pour résumer : certains élus de Chambres aiment bien faire des petits cadeaux à leurs amis syndicats et affiliés. L’absence de transparence et l’impossibilité de retracer tout cela favorisent d’autant plus ces magouilles entre amis.

Un système qui favorise la sur-représentation du syndicalisme agricole majoritaire

En effet, les règles pour les élections aux Chambres départementales favorisent dès le départ une sur-représentation. Ainsi, si la FNSEA a obtenu un peu plus de 55% des voix aux dernières élections, elle dirige 95% des Chambres et dispose d’une large majorité en leur sein.

Deux raisons expliquent cette sur-représentation. Premièrement, le mode de scrutin utilisé pour le principal collège d’élus (21 sièges sur 45), celui des “exploitants agricoles”, est un scrutin mixte. Concrètement, la liste qui remporte le plus de voix obtient dès le départ la moitié des sièges du collège, auquel s’ajoute le reste des sièges réparti proportionnellement entre toutes les listes. Ce mode de scrutin favorise donc clairement le syndicalisme agricole majoritaire par rapport à un scrutin à la proportionnelle.

Deuxièmement, chaque Chambre est composée de 5 collèges : exploitants agricoles (21 sièges), salariés (8 sièges), propriétaires (2 sièges), anciens exploitants (2 sièges) et enfin groupements professionnels agricoles (11 sièges). Certains de ces collèges font doublon avec le collège des “exploitants agricoles” et/ou ne sont pas réellement justifiés. La Cour des comptes estime ainsi que “la présence de certains organismes dans les instances des chambres consulaires (Crédit agricole, mutualité sociale agricole, coopératives, etc.) n’est pas indispensable.”

Source : http://www.chambres-agriculture.fr

A nouveau, la Cour des comptes alerte sur ce sujet et recommande de supprimer deux collèges : celui des anciens exploitants et celui des groupements professionnels agricoles. Cela veut dire supprimer 13 sièges sur 45 qui sont traditionnellement occupés par des élus de la liste FNSEA/JA. On comprend que cette recommandation ne soit pas très populaire auprès des élus majoritaires.

Pour des Chambres d’agriculture représentatives des intérêts des agriculteurs

Pas question pour autant de jeter le bébé avec l’eau du bain et de remettre en cause l’existence des Chambres d’agriculture.

Certaines d’entre elles font effectivement des efforts. Comme le souligne Dominique Potier dans son rapport de révision du plan Ecophyto : “pour des raisons culturelles ou politiques, certaines Chambres d’agriculture et quelques coopératives ont développé des moyens ambitieux et obtenu des résultats quand d’autres semblent avoir fait le service minimum.”

Le problème, c’est que ça reste (beaucoup) trop rare et au cas par cas. Il n’y a donc aucune homogénéité entre départements pour le moment, et un vrai manque de transparence. Alors à quand des Chambres irréprochables qui remplissent effectivement leur mission d’intérêt général ?