La crise du Covid-19 a ébranlé le secteur aérien en clouant les avions au sol. C’est une occasion unique pour réorienter le secteur vers un modèle soutenable et compatible avec les limites planétaires. Cependant, les signaux envoyés pour l’instant par le gouvernement laissent penser qu’il ne compte pas réduire durablement le trafic aérien, comme l’exige pourtant l’urgence climatique, ni anticiper les enjeux sociaux de cette évolution avec les travailleuses et les travailleurs du secteur.

Aviation

Mettre fin aux vols courts, c’est long

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La crise du Covid-19 a ébranlé le secteur aérien en clouant les avions au sol. C’est une occasion unique pour réorienter le secteur vers un modèle soutenable et compatible avec les limites planétaires. Cependant, les signaux envoyés pour l’instant par le gouvernement laissent penser qu’il ne compte pas réduire durablement le trafic aérien, comme l’exige pourtant l’urgence climatique, ni anticiper les enjeux sociaux de cette évolution avec les travailleuses et les travailleurs du secteur.

Le lobby du secteur, soutenu par les pouvoirs publics, espère un retour du trafic d’avant crise, et entend renouer avec une croissance pourtant incompatible avec l’accord de Paris. Pourtant, certaines premières mesures sont à mettre en place de toute urgence pour mettre fin aux aberrations climatiques du transport aérien. Les vols intérieurs courts sont du ressort de l’Etat et pour bon nombre d’entre eux, il existe déjà une alternative ferroviaire moins polluante et moins émettrice en gaz à effet de serre (GES). Nous publions aujourd’hui un rapport qui revient sur les enjeux de la réduction du trafic aérien, et notamment des vols intérieurs courts.

Réduction du trafic aérien : il faut passer la seconde

Les émissions de CO2 du transport aérien en France sont estimées à 23,4 millions de tonnes en 2019. Bien que le secteur aérien ne soit pas le plus émetteur en CO2 au regard d’autres modes de transport, son poids climatique est souvent largement minoré par le lobby de l’aéronautique. En effet, pour calculer justement le coût sur le climat de ce mode de transport, il convient de ne pas se limiter à la seule comptabilisation des émissions de CO2 qu’il génère. L’aviation a aussi des impacts “hors CO2” sur le climat, liés notamment à l’émission à haute altitude d’oxydes d’azote, de vapeur d’eau et de particules fines. Ainsi, la dernière étude scientifique en date sur le sujet évalue que, pour avoir une idée du poids total du transport aérien dans le réchauffement climatique, il faudrait probablement multiplier par un facteur trois l’impact des seules émissions de CO2.

De plus, les perspectives de croissance du trafic rendent inatteignables les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’accord de Paris. Au niveau français, le trafic aérien a quasiment été multiplié par deux ces 20 dernières années (environ 87 millions de passagers transportés en 1998 contre 172 millions en 2018). Ce sont les vols internationaux qui concentrent la majorité de ces passagers et qui expliquent en grande partie cette dynamique ; les vols intérieurs (territoire métropolitain) ont eux connu plusieurs périodes de baisse du nombre de passagers transportés entre 1998 et 2018, pour finalement revenir à un niveau quasi équivalent (25 millions de passagers transportés en 1998 contre 26 millions en 2018).

Avion Air France au décollage

Le constat est clair : il faut réduire le trafic aérien. Si ce sont bien les vols internationaux qui représentent la majorité des émissions de CO2 du secteur aérien en France, la question des vols intérieurs ne doit pas être éludée. Dans un contexte où il nous faut rapidement et drastiquement réduire nos émissions, cela ne saurait être un prétexte pour ne pas réguler les vols intérieurs pour lesquels des alternatives moins émettrices en GES existent ou sont possibles.

Ce constat impose de protéger et d’accompagner les travailleurs et travailleuses du secteur qui seront impacté·es. La responsabilité de l’Etat et des responsables de l’industrie aéronautique est lourdement engagée à cet égard. Au lieu de tenter de renouer à tout prix avec la croissance d’avant-crise en ignorant l’enjeu de réduction du trafic aérien, il est au contraire indispensable d’anticiper, d’organiser et de financer la nécessaire transition. L’enjeu est la formation et la reconversion des travailleurs et travailleuses du secteur vers des emplois ou des filières plus compatibles avec le défi climatique quand cela sera nécessaire, en les associant aux réflexions et aux décisions.

Les vols courts : des aberrations climatiques

Il est impératif d’abandonner l’avion pour les trajets qui peuvent être faits en train, largement moins polluant tout en investissant en parallèle pour une relance du ferroviaire digne de ce nom. Nous avons étudié dans notre rapport 15 connexions aériennes pour lesquelles une alternative en train existe en moins de six heures et sans changement. En termes d’émissions de CO2eq par passager, la différence entre ces deux modes de transport, pour un même trajet, est considérable. Pour la moitié des connexions étudiées, le trajet en avion est au moins 60 fois plus émetteur que le même trajet en train.

L’exemple du trajet Paris – Marseille

Selon un sondage réalisé par l’institut BVA pour Greenpeace en juin 2020, 58% des personnes interrogées se déclaraient favorables à la suppression des lignes aériennes intérieures lorsqu’il existe des alternatives en train en moins de six heures. Ainsi, réguler et/ou supprimer des vols intérieurs courts serait une mesure bien acceptée par la population. Mais alors qu’est ce qui bloque ? Ou plutôt qui bloque ?

Les fausses solutions ne sauveront pas le climat…

Force est de constater que face à l’urgence climatique qui nous oblige à réduire le trafic aérien pour faire décroitre rapidement nos émissions de GES, la vision gouvernementale est largement inadaptée. Elle parie sur une croissance effrénée du secteur (par exemple à travers la douzaine de projets d’extension d’aéroports qui quadrillent le territoire) en faisant reposer toute la réduction du coût environnemental sur des fausses solutions technologiques, nécessairement insuffisantes, ou la seule amélioration de l’efficacité énergétique. On nous parle notamment beaucoup d’avion à hydrogène. Sans même parler de la capacité à remplacer les carburants conventionnels par de l’hydrogène renouvelable, il faut rappeler qu’un modèle d’avion à hydrogène serait disponible qu’en 2035, soit cinq ans après que la planète aura épuisé le budget carbone qu’elle ne doit pas dépasser pour limiter le réchauffement à +1,5°C. De plus, l’avion à hydrogène ne permet pas de résoudre la question de la contribution “hors CO2” du transport aérien au changement climatique.

…le greenwashing non plus !

Au-delà de ses fausses solutions, le gouvernement a annoncé au printemps 2020 l’interdiction des vols intérieurs quand une alternative en train est disponible en moins de 2h30, à l’exclusion des vols de correspondance vers des vols internationaux (selon des modalités toujours pas précisées). Bonne nouvelle ? Non !

Cette mesure est une occasion de plus pour le gouvernement de simuler une action bénéfique en faveur du climat, quand elle n’est ni plus ni moins que du greenwashing. Elle feint de reprendre la proposition de la Convention citoyenne pour le climat de fermer progressivement les vols intérieurs pour lesquels existe une alternative en train en moins de quatre heures. En réalité, elle la vide entièrement de sa substance et annule, de ce fait, le bénéfice climat. Tout porte malheureusement à croire que c’est bien cette mesure coquille-vide qui se trouvera dans le projet de loi climat qui arrivera au Parlement en mars.

Selon une analyse du Réseau Action Climat, seules cinq lignes (Paris-Bordeaux, Paris-Lyon, Paris-Nantes, Paris-Rennes, Lyon-Marseille) sur la centaine de connexions intérieures existantes (hors Corse et Outre-mer) seraient concernées par l’interdiction visée par le gouvernement. La modélisation du Réseau Action Climat montre que ce “scénario 2h30” présenterait un bénéfice climat très limité, notamment si on exclut le “hub” international de Roissy CDG (une des options évoquées par le gouvernement pour préserver les vols de correspondance) : cela ne réduirait que de 6,6% les émissions de CO2 issues des vols métropolitains, et de 0,5% les émissions de l’ensemble des vols au départ de la France.

Les trois connexions les plus émettrices en 2019 (Paris-Nice, Paris-Toulouse, Paris-Marseille) ne seront pas concernées par l’interdiction annoncée par le gouvernement. Et sur les 15 connexions aériennes qui ont transporté le plus de passagers en 2019, seules trois seraient concernées par cette interdiction (alors qu’une alternative ferroviaire en moins de six heures est disponible).

Crise Covid : réduire le trafic pour repartir de plus belle ?

Sur les cinq connexions a priori visées par l’interdiction annoncée par le gouvernement, le trafic a été complètement arrêté pendant le premier confinement, et la reprise limitée au début du premier déconfinement (juillet 2020). Même si la reprise du trafic était limitée à cette date, le fait est que ces connexions aériennes intérieures, au-delà des annonces du gouvernement de mai 2020 sur le sujet, ont été rouvertes à l’issue du premier confinement. L’interdiction promise par le gouvernement ne s’est pas appliquée immédiatement et n’est à ce jour toujours pas entrée en vigueur. Il faudra donc suivre de près la mise en application des annonces du gouvernement, et notamment s’assurer de l’impact réel de l’interdiction envisagée par le gouvernement en termes de réduction du trafic et de bénéfices climat.

Concernant les connexions aériennes intérieures qui sont aujourd’hui les plus problématiques pour le climat, la reprise du trafic en juillet 2020 était sensiblement plus élevée : entre 27% du trafic habituel (en comparaison du trafic sur le même mois de l’année précédente) pour la connexion Paris-Bordeaux et 62% du trafic “habituel” pour la connexion Paris-Nice.
Le trafic aérien du monde d’après pourrait donc rapidement ressembler à celui du monde d’avant, notamment sur les lignes qui pèsent le plus lourd sur le climat, si rien n’est fait pour changer la donne. Nous appelons donc une action politique à la hauteur.

Parce que ce sont les vols internationaux qui représentent le gros des émissions du transport aérien en France, interdire ou limiter les vols courts ne suffira pas. D’autres mesures sont nécessaires pour remettre le trafic aérien sur des trajectoires compatibles avec l’accord de Paris, à commencer par l’abandon des projets d’extension d’aéroports.

Vous pouvez agir en partageant cet article, mais aussi en :

rejoignant un groupe local Greenpeace pour agir au niveau de votre ville sur la question des transports.

votant pour Jean-Baptiste Djebbari, le pilote du crash climatique, au prix des Boulets du Climat.

signant les pétitions lancées sur tout le territoire pour demander la réduction du trafic aérien.