Climat - Désarmement

Les énergies fossiles financent la guerre

"Le changement climatique d’origine humaine et la guerre contre l’Ukraine ont les mêmes racines : les énergies fossiles et notre dépendance à leur égard", a déclaré la climatologue ukrainienne Svitlana Krakovska alors que la Russie, l’un des plus grands producteurs de pétrole et de gaz au monde, envahissait son pays.

Elle s’adressait alors à ses collègues du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) depuis son domicile à Kiev, peu avant de devoir quitter la session d’approbation de leur dernier rapport car des bombes frappaient sa ville. Trois mois plus tard, la guerre en Ukraine a entraîné une crise humanitaire avec plus de 4,4 millions de personnes qui ont fui le pays.

Les énergies fossiles, moteur de la guerre en Ukraine

Il y a un rapport direct entre les énergies fossiles et la machine de guerre du gouvernement russe.
Rosneft, l’une des majors pétrolières russes, serait l’un des principaux fournisseurs de carburant de l’armée russe. Le pétrole et le gaz russes, achetés ou produits, ne contribue pas seulement à financer la guerre, mais aussi potentiellement à faire fonctionner les machines militaires

Pour contribuer à assécher les sources de financement de la guerre, il faut qu’un maximum de pays désinvestisse des énergies fossiles russes sans recourir à d’autres sources d’énergies tout aussi polluantes pour la planète. Cette guerre doit constituer un tournant pour résolument développer d’autres sources d’énergies, augmenter la sobriété et l’efficacité énergétiques dans tous les secteurs. Les majors pétrolières qui ont engrangé des profits faramineux depuis plusieurs mois doivent également être taxés pour aider à compenser la hausse des prix de l’énergie.

Des activistes de “Greenpeace Nordic” lors d’une action pacifiste au sommet d’une grue surplombant le parlement suédois. Les activistes ont déployé une bannière de 30 mètres de long avec le message « Le peuple veut la paix – Arrêtez d’alimenter la guerre » à l’intention des responsables politiques suédois. © Greenpeace / Christian Åslund

Guerre et énergies fossiles, un lien historique

La lutte pour les ressources énergétiques a été un facteur évident dans de nombreux conflits récents, notamment la guerre Iran-Irak (1980-1988), la guerre du Golfe (1990-1991) et la seconde guerre civile au Soudan ( 1983-2005). Greenpeace s’est exprimée sur ces conflits par le passé, notamment lors de la dernière guerre en Irak.

La guerre du Golfe de 1990 était un conflit basé en grande partie sur le pétrole. Les politiques de fixation des prix du pétrole et les revenus pétroliers ont fourni à l’Irak un prétexte pour envahir le Koweït. Même si le pétrole n’a pas été la seule raison des agissements de l’Irak, c’est bien ce qui a motivé les États-Unis et leurs alliés à agir rapidement, afin de protéger leur propre accès et celui des pays de l’OCDE à d’importantes réserves de pétrole. En Afrique, l’exploitation à grande échelle du pétrole par des sociétés étrangères dans le sud du Soudan a aggravé les violations des droits humains dans cette région et a exacerbé le conflit qui sévissait de longue date dans ce pays, causant deux millions de morts et quatre millions de déplacés depuis 1983, ainsi que des famines et des épidémies récurrentes.

Selon une recherche menée en 2021 par Greenpeace Italie, Greenpeace Espagne et Greenpeace Allemagne, près des deux tiers des missions militaires de l’UE visent à surveiller et sécuriser la production et le transport de pétrole et de gaz vers l’Europe. Les gouvernements italien, espagnol et allemand ont investi plus de quatre milliards d’euros pour protéger l’extraction et le transport des combustibles fossiles climaticides depuis 2018.

Des activistes de Greenpeace tiennent une bannière sur laquelle on peut lire « Arrêtez de financer la guerre » et peignent « La paix, pas le pétrole  » en lettres de deux mètres sur la coque du Seasprat, un pétrolier de 40 000 tonnes qui achemine du pétrole depuis le port russe de Primorsk, dans la mer Baltique. Cette action, menée dans le port de Brême, s’inscrit dans une série de protestations contre les importations de pétrole en provenance de Russie, qui contribuent à financer la guerre de Poutine en Ukraine. © Axel Heimken / Greenpeace

Les entreprises d’énergies fossiles ne sont pas fiables

Au début de la guerre en Ukraine, les compagnies pétrolières ont profité de l’occasion pour étendre leurs activités polluantes, en utilisant la crise énergétique imminente comme prétexte. Shell a même acheté du pétrole à la Russie après l’invasion, et n’a présenté ses excuses et promis de couper les liens avec la Russie qu’après une énorme vague de réactions publiques qui risquait d’affecter ses bénéfices. Aujourd’hui, d’autres compagnies pétrolières telles que BP promettent de se désengager de la Russie, après avoir été directement liées à la guerre en Ukraine. A ce jour, TotalEnergies est la seule entreprise pétro-gazière occidentale à ne pas avoir annoncé son retrait de Russie, malgré son engagement à renoncer au pétrole russe. La major pétrolière française est extrêmement impliquée dans l’exploitation du gaz russe dont elle ne veut pas se séparer car elle est essentielle à sa stratégie de développement.

Comme les grands fabricants de tabac, ces entreprises saisissent toutes les occasions pour continuer à vendre leurs produits polluants. Si nous ne continuons pas à dénoncer leur modèle économique délétère, elles continueront à tirer profit des conflits et de la crise climatique.

Le commerce des énergies fossiles soutient un système injuste

Pour espérer garantir la paix et mettre fin à la crise climatique, les gouvernements doivent réduire leur dépendance aux énergies fossiles et commencer immédiatement à les éliminer de leur mix énergétique. Aujourd’hui, l’économie mondiale fonctionne toujours en grande partie grâce aux fossiles, qui représentent toujours plus de 80 % du mix énergétique mondial.

Cette dépendance aux combustibles fossiles place la sécurité énergétique et l’action climatique à la merci des intérêts géopolitiques. Les gouvernements ne peuvent prétendre défendre la paix s’ils continuent à financer la guerre. Et passer du pétrole et du gaz russes au pétrole et au gaz d’autres pays au bilan douteux en matière de droits humains, comme le Venezuela ou l’Arabie saoudite, ne fera que déplacer le pouvoir géopolitique d’un agresseur à un autre.

Ces déséquilibres de pouvoir peuvent permettre à des pays d’agir en toute impunité. Lors des récentes négociations internationales sur le climat (COP26), les principaux producteurs de pétrole et de charbon, comme l’Arabie saoudite et l’Australie, ont fait obstacle au fait d’inclure dans le texte final l’élimination progressive des combustibles fossiles et des pays comme la Russie et les États-Unis ne sont pas membres de la Cour pénale internationale, qui poursuit les crimes de guerre.

© Bence Jardany / Greenpeace

Les énergies renouvelables sont une voie vers la paix

Pour rendre notre monde plus juste et plus pacifique, les États doivent réduire leur dépendance aux combustibles fossiles. Une transition rapide nécessite que les pays riches commencent par diminuer leur demande en énergie et par optimiser leur efficacité énergétique. Ensuite, ils doivent rapidement parvenir à couvrir leurs besoins énergétiques restants avec des énergies renouvelables.

Contrairement aux énergies fossiles, les renouvelables sont peu susceptibles d’alimenter les luttes de pouvoir géopolitiques ou les inégalités, car leurs infrastructures peuvent être largement localisées. Cela pourrait contribuer à réduire les échanges avec les pays dont le bilan en matière de droits humains est douteux. L’énergie renouvelable locale pourrait également contribuer à protéger les consommateurs et consommatrices contre les augmentations brutales des prix, comme dans le cadre de la crise énergétique mondiale que nous connaissons aujourd’hui.

Des bénévoles installent le premier panneau solaire. Entre le 10 et le 18 septembre, 12 bénévoles sont formés à l’énergie solaire photovoltaïque. La formation se termine par une installation photovoltaïque sur le toit du bureau de Greenpeace à Kinshasa. L’atelier est organisé par Greenpeace Afrique et le Youth Support Center de Greenpeace Suisse.
© Greenpeace / Crispin Assimbo Bosenge

Préserver la sécurité énergétique et le climat

La combinaison des énergies renouvelables, de la sobriété et de l’efficacité énergétique est un choix bien plus sûr. Si l’on associe le potentiel de ces trois éléments, la demande énergétique mondiale totale pourrait être réduite d’un quart d’ici à 2030. Les mesures d’efficacité énergétique représenteraient la moitié ou les trois quarts des économies d’énergie totales, les énergies renouvelables fournissant le reste. Cela pourrait avoir d’énormes répercussions sur la protection du climat, les combustibles fossiles étant les premiers responsables du réchauffement climatique.

En les associant à des politiques encourageant la sobriété énergétique et les économies d’énergie, une transition rapide et équitable vers les énergies renouvelables est possible. Augmenter la capacité en énergies renouvelables est bien plus rapide que construire de nouvelles infrastructures pour les combustibles fossiles ou de nouveaux réacteurs nucléaires. Au Royaume-Uni, il faut en moyenne 28 ans pour développer un nouveau puits de pétrole, contre deux ans pour construire une ferme solaire. En France, il faut compter entre 15 à 20 ans entre la décision de construire un réacteur et sa mise en service effective. Le fiasco de l’EPR de Flamanville en est l’illustration parfaite. Si le monde investit dans davantage d’énergies renouvelables, celles-ci deviendront une option encore moins chère et plus viable.
C’est l’occasion pour les gouvernements de rompre le cycle destructeur des énergies fossiles et d’opérer une transition vers un avenir vert et pacifique. Ils doivent agir pour la paix et pour le climat en opérant une transition vers des énergies efficaces et renouvelables le plus rapidement possible.