Magouilles économiques
Si EDF invoque des difficultés techniques, il ne faut néanmoins pas être dupes : il s’agit avant tout de magouiller pour maquiller la situation financière désastreuse d’EDF, plombée par une filière nucléaire en capilotade. Si l’échéance est repoussée, les provisions affectées au démantèlement seront mécaniquement fortement réduites. Et les reprises de provisions conséquentes solidifieront considérablement son bilan et amélioreront son résultat.
Il faut démanteler tout de suite
De même que pour l’Agence de sûreté nucléaire, cette décision est inacceptable. De nombreuses installations sont à démanteler ou sont déjà en cours de démantèlement : des réacteurs de recherche, des réacteurs UNGG (ancienne filière française dite « Graphite gaz »), des installations du « cycle » nucléaire, etc.
Car s’il est vrai que l’opération s’avère très coûteuse et très complexe, elle est par contre techniquement tout à fait possible. Un certain nombre d’installations ont déjà été entièrement démantelées, en particulier aux Etats-Unis : on parle de « retour à l’herbe », signifiant que la totalité des bâtiments et des installations ont été détruites. Ne reste alors que des grillages délimitant le périmètre de l’installation initiale.
Dans ce cas tout n’est pas solutionné puisqu’il reste alors de très grandes quantités de déchets nucléaires à gérer et le sol peut avoir été contaminé. En France, un nombre non négligeable de ces déchets n’ont pas aujourd’hui de filière de gestion et restent , pour le moment stockés sur les sites de démantèlement.
Que veut dire « démantèlement immédiat » dans l’industrie nucléaire ?
Lorsqu’on l’on arrête une installation nucléaire, entre l’arrêt technique (on tourne le bouton pour mettre sur « off ») et l’arrêt définitif officiel, il faut compter environ trois ans nécessaires à la procédure administrative, équivalente à celle d’autorisation de mise en marche (étude d’impact, dossier de sûreté, enquête publique, etc.).
Les bâtiments annexes, non nucléaires (partie dite « conventionnelle »), peuvent commencer à être démantelés dès la fin de cette période après publication du décret de mise à l’arrêt. Ces travaux demandent plusieurs années, mais peuvent commencer immédiatement car rien ne s’y oppose – sauf le coût. Les parties nucléaires qui posent problèmes sont celles contenues dans l’enceinte de confinement et les bâtiments piscines. La préparation du travail de démantèlement demande elle aussi plusieurs années.
On peut donc estimer qu’entre l’arrêt technique du réacteur (mise sur « off » et déchargement du combustibles du réacteur) et le moment où on peut « s’attaquer » au contenu de l’enceinte de confinement, le délai est de l’ordre d’une douzaine d’années. Les opérations de démantèlement proprement dites des parties nucléaire sont ensuite de l’ordre de 30 à 35 ans (après les 12 ans déjà cités). Cela prend donc du temps, et repousser aux calendes grecques le début de la procédure revient à léguer ce fardeau aux générations futures.
Quels sont les risques réels des opérations de démantèlement ?
Pour tenter d’obtenir des délais pour retarder le début du démantèlement, on entend souvent parler du risque radiologique pour les travailleurs en charge de cette mission. Tout d’abord, cet argument ne tient pas pour tous les bâtiments non nucléaires, qui peuvent être détruits aussitôt.
Par ailleurs, si cet argument est recevable en ce qui concerne les installations nucléaires en tant que telles, il faut néanmoins le relativiser : les éléments radioactifs qui posent le plus de problème auront en effet décru après cette période quasi incompressible de 12 ans. Ensuite la décroissance radioactive est très lente pour les autres radioéléments, et attendre plus longtemps ne change plus grand-chose sur les doses reçues.
Pourquoi démanteler le plus vite possible?
D’abord, pour contrer le vieillissement des matières qui confinent les radioéléments présents dans l’enceinte. Le béton vieillit et perd de son étanchéité par exemple. Il n’est donc pas bon d’attendre.
La connaissance des installations, ensuite : en effet, personne ne connaît mieux les installations que les personnes qui les ont exploitées. Le temps qui passe est un ennemi de la transmission du savoir.
En outre, élément très important : il faut sécuriser la responsabilité financière des enjeux de sûreté et de sécurité liées à ces opérations. Qui sera encore responsable des installations pendant une période d’attente de plusieurs décennies ? Et qui pendant les opérations de démantèlement, si elles sont reportées indéfiniment ? Que seront les AREVA, EDF, CEA, ANDRA, voire l’Etat, dans des dizaines d’années ?
Un report plus qu’inquiétant
Si ce report est inquiétant, c’est d’abord pour ce qu’il dit de l’état de la filière nucléaire française. Car visiblement, aucun des acteurs de cette industrie n’est capable de prendre en charge convenablement les conséquences pourtant prévisibles. Or, comment croire que des gens incapables de gérer le passé du nucléaire puissent sérieusement s’occuper de son avenir ? Comment croire qu’une entreprise qui est dans un tel état de désarroi qu’elle s’abaisse à tous les artifices financiers pour sauver sa peau, sera encore là dans des dizaines d’années, pour assurer le démantèlement pourtant indispensable des installations nucléaires ?
La vérité de l’industrie nucléaire est celle d’une fuite en avant permanente dont les générations futures paieront les coûts exorbitants.