Ce début d’année 2016 aura fait la preuve de la déshérence industrielle d’EDF et de l’impasse financière à laquelle mène la stratégie de l’entêtement nucléaire. Dernier épisode en date : la démission du numéro 2 du groupe pour désaccord sur Hinkley Point, le projet de construction de réacteur de type EPR au Royaume-Uni.

Nucléaire

EDF : la déshérence

Ce début d’année 2016 aura fait la preuve de la déshérence industrielle d’EDF et de l’impasse financière à laquelle mène la stratégie de l’entêtement nucléaire. Dernier épisode en date : la démission du numéro 2 du groupe pour désaccord sur Hinkley Point, le projet de construction de réacteur de type EPR au Royaume-Uni.

 

Entrée de la centrale nucléaire de Dampierre © Micha Patault / Greenpeace

Des surcoûts en pagaille

La stratégie énergétique française est en capilotade. A chaque jour son lot de nouvelles annonces abracadabrantesques et de coups de théâtre qui témoigne de l’impasse économique dans laquelle EDF s’enfonce semaine après semaine.

En décembre 2015, l’électricien a tout bonnement été sorti du CAC 40 tant les marchés sont devenus méfiants vis-à-vis de sa stratégie économique. Il faut dire que le titre subit une chute continue depuis plusieurs années : la valeur de l’action EDF a été divisée par 8,5 depuis 2008, passant de 86 € à 10 €  – une perte de valeur de plus de 136 milliards en sept ans. Rien que sur ces trois dernières semaines, l’État (actionnaire à 84,5 %) a perdu 600 millions d’euros. Belle réussite en matière de gestion économique.

Au début de l’année, l’État a fait semblant de découvrir que le chiffrage du projet d’enfouissement des déchets nucléaires de Cigéo était très largement sous-estimé : 32,8 milliards selon l’ Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA)  – mais ce sera plus encore selon l’ASN –  au lieu des 15 milliards prévus lors de l’évaluation faite en 2005. Dans le même temps, nous apprenions que l’État (les contribuables) devrait finalement mettre cinq milliards sur la table pour sauver Areva d’une faillite orchestrée par une poignée de dirigeants corrompus.

EDF sans le sou

Vinrent ensuite les annonces tonitruantes de Jean-Bernard Lévy, indiquant lors de la présentation des résultats du groupe qu’EDF ne comptait pas fermer de centrales dans les prochaines années. La loi sur la transition énergétique (TE) votée l’été dernier prévoit pourtant de réduire de 75 à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique d’ici à 2025.

Outre qu’il s’inscrit en contradiction avec la loi, ce choix pose question dans un contexte de stagnation de la consommation d’électricité en France d’une part (EDF se trouve déjà dans une situation périlleuse de surproduction), et d’atonie totale du marché nucléaire mondial d’autre part. Car il faut savoir que la production d’énergie nucléaire mondiale décroît depuis le début des années 2000, sapée par la progression rapide du marché des énergies renouvelables : en 2015, 300 milliards d’euros ont été investis à travers le monde dans les énergies renouvelables. Dix fois moins dans le nucléaire.

Chantier EPR de Flamanville © Micha Patault / Greenpeace

Les coûts de production des énergies renouvelables ne cessent de baisser, avec une conséquence élémentaire : l’atome ne sera bientôt plus compétitif. Le prix de l’électricité nucléaire a augmenté de 20 % en trois ans et continuera d’augmenter si on prolonge l’exploitation des centrales actuelles.  Son coût de production atteindra plus de 100 €/MWh  pour les prochains EPR, dont les retards continuent de s’accumuler (l’ASN est toujours en train de mener des investigations sur la cuve défecteuse de Flamanville). La Chine a d’ailleurs décidé d’un moratoire sur le projet des EPR de Taishan (déjà en cours de construction) tant que ces problèmes techniques n’étaient pas résolus, accentuant ainsi l’échec commercial de la stratégie internationale du nucléaire français.

Le grand carénage, nom de code de la maintenance nécessaire au prolongement de 10 ans d’un parc qui arrive à obsolescence, devrait au bas mot coûter 260 milliards d’euros (4,4 milliards par réacteur). Ces investissements pourtant nécessaires sont pour l’instant sous-estimés et sous-aprovisionnés par l’énergéticien, dont les comptes sont dans le rouge. L’État, actionnaire principal du groupe, a même dû renoncer à prendre le total de ses dividendes en monétaire l’année dernière (une économie d’1,8 milliard d’euros pour EDF, qui a ainsi pu afficher artificiellement des bénéfices d’1,1 milliard d’euros et échapper à un résultat net déficitaire).

EDF et l’État hors-la-loi

Au lieu d’appuyer la loi votée par sa propre majorité l’année dernière, Ségolène Royal n’a rien trouvé de mieux à faire que d’emboîter le pas du patron d’EDF en abondant, la semaine dernière, dans le sens d’un prolongement de 10 ans des centrales actuelles. La position définitive du gouvernement sur ce sujet sera connue lors de la publication sans cesse repoussée du plan pluriannuel de l’énergie (PPE), censé traduire concrètement les dispositions de la loi TE – mais c’est un bien mauvais signal.

Pour rappel, la Cour des comptes estime qu’il faudra fermer au minimum 17 à 20 réacteurs dans les prochaines années pour atteindre les objectifs de réduction du nucléaire inscrits dans la loi TE. De façon plus réaliste, il faudra sans doute en fermer une trentaine.

L’Allemagne au créneau

Dans la foulée, la presse allemande révélait qu’un incident survenu en 2014 à la centrale nucléaire de Fessenheim (est de la France), doyenne des centrales françaises, s’avérait plus important qu’annoncé : l’un des deux réacteurs n’était « momentanément plus contrôlable ». Subséquemment, un porte-parole de la ministre allemande de l’Environnement a déclaré que Fessenheim, toute proche de la frontière allemande, était « trop vieille » et « devrait être fermée le plus vite possible ». Faut-il le rappeler, c’était l’un des engagements de François Hollande que de fermer cette centrale durant son quinquennat (avant que la direction d’EDF ne conditionne sans raison valable sa fermeture à la mise en service de l’EPR de Flamanville, aujourd’hui repoussée à 2018 au moins).

Ce n’est pas tout : les écologistes allemands, de leur côté, ont dans leur viseur la centrale mosellane de Cattenom, qui compte quatre réacteurs couplés au réseau entre 1986 et 1991. Un rapport commandé par le groupe des Verts au Bundestag pointe des normes de sûreté « insuffisantes » qui conduiraient, outre-Rhin, à son déclassement. Le leader des Verts au Parlement allemand, Anton Hofreiter, a demandé au gouvernement fédéral d’ouvrir des négociations avec la France en vue de la fermeture de la centrale pour « danger imminent ».

Des plaintes qui s’accumulent

Mercredi 2 mars, le canton suisse de Genève annonçait avoir déposé une plainte concernant la centrale du Bugey, située dans le département français voisin de l’Ain et dont il demande depuis longtemps la fermeture. Le canton et la ville de Genève ont indiqué avoir porté plainte contre X « pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui et pollution des eaux », dans un courrier reçu par l’AFP. Le Bugey est effectivement l’une des plus vieilles centrales du parc français et présente des problèmes de sûreté récurrents. On a connu meilleure publicité.

Enfin, aux attaques venues de nos voisins européens s’ajoutent des actions judiciaires engagées par des organisations françaises. L’association Notre affaire à tous et le Comité de réflexion d’information et de lutte antinucléaire (Crilan) ont par exemple déposé un recours devant le Conseil d’État en vue de l’annulation d’un arrêté du 30 décembre 2015 relatif aux équipements sous pression nucléaires. Ces équipements recouvrent un certain nombre d’éléments décisifs pour la sûreté d’une centrale. Cet arrêté donnait un délai supplémentaire à l’énergéticien pour aligner ses équipements avec les nouvelles normes de sûreté post-Fukushima. Or, d’après la présidente de Notre affaire à tous, cet arrêté « permet en réalité aux industriels de déroger à leurs obligations essentielles de sûreté ». L’étau se resserre donc autour du nucléaire français.

L’équipage quitte le navire

Dernier signe en date de la déshérence d’EDF : la démission dimanche 6 mars du directeur financier du groupe, Thomas Piquemal, rejoignant peu ou prou la position de tous les syndicats sur le dossier Hinkley Point, à savoir une dénonciation de la non-viabilité économique du projet. Hinkley Point, c’est un projet de construction de deux réacteurs nucléaires de type EPR (une technologie qui n’est même pas encore au point, donc) au Royaume-Uni, dont EDF doit assumer finalement deux-tiers des coûts contre un tiers initialement, pour un total d’environ 24 milliards d’euros. Et déjà, le mois dernier, c’est le chef de chantier qui avait démissionné…

Un « bon investissement » avait pourtant jugé le ministre de l’Économie français, Emmanuel Macron, la semaine dernière, témoignant d’une admirable persévérance.

La situation est donc simple : EDF investit à perte de l’argent qu’il n’a pas, et derrière, ce sont les contribuables qui vont ramasser les pots cassés – d’une part parce que les coûts énergétiques ne cessent d’augmenter, d’autre part parce que la probabilité d’un accident nucléaire lié à des défauts de maintenance ne cesse de s’accroître. Faudra-t-il attendre un accident majeur sur le territoire français avant que le groupe et le gouvernement ne se décident enfin à réorienter la politique énergétique vers les renouvelables, et à combler le retard de la France sur ses voisins européens ? Ou qu’EDF fasse définitivement faillite ? Ce jour-là, il sera trop tard.





Commentaires (21)

Dominique 38

@ Naturellement 25 et Luc Personnellement je reste opposé au Nucléaire pour 2 raisons majeures : la dangerosité à court , moyen et long terme et d'autre part à cause de son coût . En ce qui concerne le coût sur lequel vous m'avez partiellement répondu je ne vais pas m'étendre beaucoup pour calculer le coût du nucléaire car , pour avoir fait du devis dans ma carrière , je m'étonne beaucoup que l'on sache chiffrer des prestations devant durer , allez disons 10000 ans voire plus et de surcroît avec des technicités que l'on ne connait pas ( sur ce point tout le monde s'accorde ...donc je suis perplexe . Quant on compare les estimations de coût initiales et le coût final supposé !!!! entre les 2 seuls EPR en construction (le finlandais et Flamanville) avec un rapport de 1 à 3 environ à ce jour , aucun des 2 n'étant en service ) on ne peut qu'être perplexe Mais ceci étant si l'on veut comparer efficacement les 2 maux et choisir le moins pire il faut avoir les éléments chiffrés et ces données me manquent dans vos 2 réponses : Il semble que l'usine à charbon propre ( ou à tout le moins moins polluante ) existe techniquement , par contre le coût précis n'est jamais mentionné : pourquoi ? On devrait pouvoir savoir que pour une centrale à charbon classique de XX capacité , le coût est de YYY avec Z% de plus pour une solution dite non ? Avez vous des billes ? Pour répondre à Luc sur la pollution radioactive des centrales à charbon , j'ai essayé d'aller sur un ou 2 sites dédiés au sujet : il s'avère que cette pollution est très faible notamment par une diffusion beaucoup plus large que le périmètre concerné d'une centrale nucléaire et surtout comparée à la pollution carbonée .. A bientôt Dominique

luc

Le nucléaire c'est bon pour le climat quoi que l'on dise! Regardez l'Allemagne avec ces 40% de centrales aux charbons et après on ose dire que c'est un bon exemple , on marche sur la tëte. Il faut arrêter l'obsession anti nucléaire qui rend cette énergie plus chère ce qui favorise les centrales aux charbons. sachant que pour ceux qui ne savaient pas une centrales aux charbons relache dans l'atmosphère autant de matériaux radioactifs que deux bombes hiroshima chaque année (car le charbon contient de l'uranium) donc ça fait que niveau pollution radioactive le charbon est pire !!

Naturellement 25

@Dominique 38 Le nucléaire n’est pas la solution, mais il est évident que la France c’est engagée dès les années 70 dans une impasse en promouvant le chauffage électrique des bâtiments et en investissant uniquement dans la filière nucléaire pour produire l’électricité nécessaire. Le premier point est que même en arrêtant de financer le nucléaire maintenant, il faudra des dizaines d’années pour le remplacer par autre chose. Voici les dernières projections de l'union européenne en matière de financement que nécessiterait la poursuite de l’aventure nucléaire au niveau européen d'ici 2050. 450 à 550 milliards pour la rénovation et la construction de réacteurs. 142 milliards pour la gestion des déchets. 126 milliards pour le démantèlement des réacteurs qui seront fermés. Au total plus de 700 à plus de 800 milliards prévus et sachant qu'en matière de nucléaire, les budgets prévisionnels sont systématiquement multipliés par plus de 3 au cours de leur réalisation, il faut s'attendre à une dépense de plus de 2 000 milliards d’euros soit plus de 2 fois la dette de la France. Ces chiffres prouvent l'impasse où se sont engagés les pays qui ont opté pour le nucléaire d’autant plus qu’il n’est pas tenu compte des coûts qui seraient engendrés par une catastrophe dont la probabilité ne peut qu’augmenter par la prolongation de l’utilisation de réacteurs au-delà de leur durée de vie initialement prévue. Comme au Japon, les coûts ne peuvent pas être supportés par l’exploitant, c’est l’état, donc les citoyens, qui payent au final. Imaginez ce qu’il est possible de faire avec plus de 1000 milliards d’euros… L’exemple de l’Allemagne, qui contrairement aux fausses rumeurs, a bien remplacé par du solaire et de l’éolien les réacteurs fermés suite à la catastrophe de Fukushima, prouve que la voie de l’abandon progressif du nucléaire est possible sans augmentation significative des émissions de CO2. Elle ne s’est pas contentée d’installer des éoliennes et des capteurs solaires. Elle a entrepris une campagne sans précédent en faveur des économies d’énergie, d’isolation des bâtiments et aussi développé des partenariats avec ses pays voisins, la Norvège et la Suisse principalement, pour y stocker les surplus d’électricité dans les barrages suivant la technique du pompage turbinage. L’Allemagne montre la voie et la France peut la suivre avec des ressources en éolien et solaire supérieur. Malheureusement, trop nombreux sont ceux qui refusent tout, éoliennes, panneaux solaires, lignes HT même HDVC enterrées et finalement font le jeu des pro-nucléaires. Ce n’est que ma propre vision après le constat des échecs des EPR en France et surtout en Finlande et en voyant le l'émergence de l'éolien et du solaire pas seulement en Allemagne, au Royaume Uni, au Danemark, au Portugal, au Maroc mais aussi en Chine avec des coûts de production qui diminuent de plus en plus alors que ceux du nucléaire sont en hausse perpétuelle. Plus aucun grand investisseur ne veut financer le nucléaire trop risqué. Nat25