Le 8 août dernier, une analyse de la cuve d'un des sept réacteurs de la centra

Climat

Sûreté nucléaire : et si les régulateurs s’accordaient ?

Le 8 août dernier, une analyse de la cuve d’un des sept réacteurs de la centrale nucléaire de Doel en Belgique a révélé « de potentielles fissures », selon l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) belge .
La sûreté de 22 réacteurs, dont neuf situés en Europe, est en jeu depuis. Car le fabricant de cette cuve, le groupe néerlandais Rotterdamsche Droogdok Maatschappij, qui a depuis cessé ses activités, a en effet livré 21 autres cuves…
Le Monde l’exposait : les mêmes cuves équipent deux réacteurs aux Pays-Bas, deux autres en Allemagne, deux en Espagne, un en Suède, deux en Suisse, dix aux États-Unis et un en Argentine.

En France, l’ASN a été réactive, en publiant le 9 août une note d’information « Découverte de défauts sur la cuve du réacteur n° 3 de la centrale nucléaire de Doel (Belgique)« . L’ASN fait le point sur le contrôle des cuves des réacteurs français. « Les résultats de ces contrôles, réalisés en fin de fabrication puis tous les 10 ans, ne montrent pas d’anomalies similaires« , annonce-t-elle, précisant que « l’industriel hollandais qui a fabriqué la cuve de Doel 3 n’a forgé aucune pièce destinée à des cuves du parc nucléaire français« .

Les autorités de sûreté nucléaire de plusieurs pays européens se sont réunies ce jeudi à Bruxelles pour « un échange d’information », selon l’Agence fédérale belge de contrôle nucléaire (AFCN).

Cette réunion n’a pas abouti à une position franche et commune de la part des régulateurs des pays concernés. La conclusion est bien décevante : chacun doit choisir pour lui même, sans concertation globale… En résumé : chaque pays gère seul la sûreté nucléaire dans ses frontières.

Retour aux fondamentaux : qu’est ce qu’une cuve ?

voir le schéma sur le site du CEA

La cuve est un équipement essentiel vis-à-vis des 3 fonctions de sûreté d’un réacteur électronucléaire :
• Le confinement de la matière radioactive ;
• La maîtrise de la réactivité ;
• Le refroidissement du cœur.

Quand le réacteur est en fonctionnement, la cuve est soumise à de fortes irradiations qui conduisent à une modification des propriétés mécaniques de l’acier. Progressivement l’acier devient plus dur mais aussi plus fragile, augmentant le risque de rupture brutale en cas d’apparition d’un défaut.

La cuve est donc un élément crucial, que l’Autorité de sûreté nucléaire française elle même qualifiait, dans une note technique datée de novembre 2010, de « composant non remplaçable« . Cette note précise également : « La cuve est par ailleurs un équipement difficilement réparable et dont le remplacement n’est, à ce jour, pas envisagé sur les réacteurs de conception semblable à ceux exploités par EDF. »

Pourtant, des réparations ont déjà eu lieu sur les cuves des réacteurs français (!).

Des microfissures sur les réacteurs français – l’incohérence de l’ASN

Des micro fissures (également appelées défauts de sous revêtement) ont été détectées sur une quinzaine de réacteurs français. Celles-ci ont été observées sur les « tubulures » (tube inséré dans la cuve qui permet le passage des sondes de contrôles et de mesures) mais aussi sur les cuves elles-mêmes. Elles sont liées à l’irradiation de la cuve et au vieillissement des installations… Pour les 58 réacteurs actuellement en fonctionnement l’ASN a demandé à EDF de réfléchir à des moyens de réduire l’irradiation du corps de cuve, notamment en jouant sur le positionnement du combustible (ancien et neuf)..

Source : Réponse de la division ASN de Lyon du 26 août 2008 concernant les défauts sous revêtement in annexe 3 du rapport sur la visite décennale n°3 du réacteur 1 du CNPE Fessenheim

Plus grave, pendant la 3ème visite décennale du réacteur 1 de Gravelines, des petites fissures ont été détectées au niveau de la soudure d’une pénétration de fond de cuve (tubulure). C’est la première fois qu’un tel défaut est découvert en France. L’ASN a autorisé une réparation …

On peut donc légitimement s’étonner de la position de l’ASN qui autorise une réparation alors même que les soudures sont des zones sensibles de la cuve et que, rappelons le à nouveau, en novembre 2010, la position de l’autorité de sûreté était qu’une réparation sur la cuve était « difficile ».

Le cas belge face à la situation en France : l’incohérence des régulateurs

Jusqu’à aujourd’hui les autorités belges suivaient les normes internationales qui imposent un contrôle régulier des zones les plus sensibles de la cuve mais pas de la cuve entière. Ainsi c’est la première fois que la Belgique effectuait un contrôle du corps de cuve sur le réacteur 3 de Doel.
La France quant à elle, effectue un contrôle de la cuve entière à l’occasion des visites décennales, depuis les années 2000. Elle est donc en avance sur ce point, utilisant même du matériel d’inspection capable de détecter une fissure de 5 mm.

Mais alors que le régulateur belge se montre ferme sur l’impossibilité de faire réparer la cuve du réacteur de Doel 3, l’ASN est clémente sur les fissures constatées sur le parc nucléaire français en estimant que ces « micro-fissures » ne sont pas nocives…

Deux régulateurs européens ont donc des approches drastiquement opposées, sur un problème pourtant équivalent… Qui croire, en qui avoir confiance, alors qu’en raison de l’âge du parc européen l’état des cuves va devenir un sujet central ?

La sûreté internationale doit s’harmoniser !

Greenpeace demande que les réacteurs équipés de ce type de cuve encore en fonctionnement soient immédiatement arrêtés pour vérification complète. Dans cette optique il est indispensable qu’une liste exhaustive des réacteurs concernés soit publiée au plus vite, afin de faire la transparence.
Nous savons, par exemple, que plusieurs réacteurs aux États-Unis sont concernés sans savoir précisément dans quelle installation ils se trouvent. C’est également le cas pour l’Argentine où un réacteur est équipé de ce type de cuve. Greenpeace Argentine a donc déposé une demande d’information officielle, afin d’identifier de quel réacteur il s’agit.

Cet épisode vient mettre en évidence la nécessité de renforcer les normes internationales de contrôle en les harmonisant, afin que le contrôle de la cuve entière devienne la norme et non plus l’exception.
Mais la question reste pour le moment en suspens puisque les régulateurs ont de nouveau prouvé aujourd’hui la difficulté de trouver un terrain d’entente en matière de sûreté nucléaire.
Les pays arbitrent seuls … On reste donc sur une sûreté nucléaire à deux vitesses.