Ce mardi 24 janvier, France 2 diffuse un nouvel épisode de Cash Investigation animé par Elise Lucet et consacré à l’industrie du bois. Une industrie lourde de conséquences pour les forêts : le trafic de bois reste l’un des commerces les moins réglementés au monde. Entre l’arbre de plusieurs siècles coupé illégalement au fin fond de l’Amazonie ou de la République Démocratique du Congo et le mètre carré de parquet vendu dans la grande distribution, il y a tant d’étapes, d’intermédiaires, de transformations et de certificats. En partant des différents sujets qui seront abordés dans l’émission, on vous aide ci-dessous à y voir plus clair sur les filières complexes à l’origine du pillage de nos forêts.
Industrie du bois : un commerce dangereux
La déforestation continue d’avancer dans le monde : chaque année, elle emporte environ 13 millions d’hectares de forêts, soit un quart de la surface de la France. Les moteurs de cette déforestation sont multiples : destruction des forêts pour des plantations d’huile de palme en Indonésie ou en Afrique, extension des plantations pour la pâte à papier, plantation de soja et extension des surfaces dédiées à l’élevage en Amazonie ou encore exploitation illégale du bois en Amazonie comme dans le bassin du Congo.
Ce bois illégal continue à trouver son chemin jusqu’en France et en Europe, en dépit de l’adoption d’une nouvelle réglementation européenne, pour laquelle Greenpeace a fait campagne activement depuis 2005.
Le 3 mars 2013, ce règlement européen historique pour l’environnement et les forêts de la planète entrait en vigueur. Fruit d’une campagne de plus de dix ans de la part d’ONG comme Greenpeace, le Règlement Bois de l’Union européenne (RBUE) doit aujourd’hui être appliqué dans tous les pays de l’Union. En 2015, afin de ne pas perdre plus de temps et de garantir la poursuite par la France de la mise en oeuvre de ce RBUE, Greenpeace décidait d’écrire officiellement à la Commission européenne pour l’avertir des manquements de la France en matière d’application du règlement.
Tant que le bois « illégal » et « non durable » trouvera des débouchés économiques, les forêts tropicales, mais aussi boréales, continueront à se réduire comme peau de chagrin. La forêt boréale russe de Dvinsky, par exemple, pourrait disparaître d’ici 10 ans.
Ikea et les forêts de Roumanie
Le travail de Greenpeace en Roumanie a mis en évidence l’existence de filières de bois illégal depuis plusieurs années. Plusieurs rapports et conférences de presse ont dénoncé les coupes illégales dans des régions aux forêts protégées.
L’attitude d’Ikea dans le reportage de Cash Investigation est typique du fossé qui existe encore entre les engagements publics des entreprises importatrices ou distributrices, et la réalité de leur mise en oeuvre.
L’exemple de la Roumanie est éclairant : suite à la révélation que des centaines de sociétés exploitent massivement le territoire transylvanien abritant une des dernières forêts vierges d’Europe, une enquête a été déclenchée. Des sanctions doivent être prises et Ikea doit assainir sa filière roumaine. Les consommateurs, quant à eux, doivent continuer à mettre la pression sur les détaillants pour exiger plus de transparence.
Pour finir, des réglementations comme le RBUE (Règlement sur le bois de l’Union Européenne) doivent être appliquées avec plus de rigueur pour que les importateurs ou distributeurs se sentent responsables de toute leur chaîne d’approvisionnement. Fort heureusement pour la préservation des forêts, les premières sanctions pour non respect de ce règlement commencent à arriver. En mars 2016, une entreprise européenne, la PME hollandaise Fibois, qui transforme du bois importé à 80% du Cameroun, a reçu une sérieuse mise en demeure : elle risque une amende de 1 800 euros par mètre cube de bois importé.
Indonésie : une relation toxique entre les plantations et les forêts
En 2015, les forêts indonésiennes ont subi des incendies catastrophiques : ces feux ont rejeté en quelques mois plus de CO2 que l’ensemble du Royaume-Uni en une année. Le reportage Cash Investigation du 24 janvier le montre clairement : ces incendies sont le résultat de l’assèchement des tourbières et de la déforestation dans le but d’étendre les plantations, au profit de l’industrie du papier ou de l’huile de palme. Ces pratiques qui durent depuis des décennies ont fait des tourbières asséchées de véritables poudrières.
L’Indonésie est un pays qui a fondé en partie son développement économique pendant des décennies sur la destruction des forêts et l’extension des plantations sur des terres de tourbières. Le gouvernement indonésien a récemment interdit le drainage et la conversion des tourbières en plantations, mais cette réglementation tarde à être appliquée. Quant aux entreprises de l’huile de palme et de la pâte à papier, elles doivent enrayer le drainage et restaurer ces tourbières pour éviter qu’elles ne partent en fumée. L’importance des tourbières dans la lutte contre les changements climatiques ne fait plus aucun doute : elles doivent être préservées de toute urgence.
Le reportage Cash Investigation prend l’exemple d’APP, une entreprise du secteur de la pâte à papier, qui a été la cible d’une longue campagne de Greenpeace. Suite à la pression de Greenpeace, APP a cessé d’utiliser du bois issu de forêts naturelles dans sa pâte à papier et s’est engagée à mettre fin à la conversion de forêts naturelles et tourbières en plantations. En revanche, APP doit faire beaucoup plus en matière de restauration de tourbières afin de solder son passif et prévenir une nouvelle catastrophe à l’échelle des incendies de 2015.
Les images de Cash Investigation montrant une plantation récente sur une tourbière profonde décrite comme une « concession d’APP » sont inacceptables et constitueraient une violation des engagements d’APP. L’entreprise doit fournir des explications précises sur ce point.
D’autres entreprises du secteur de la pâte à papier ou de l’huile de palme poursuivent les déboisements et drainages de tourbières à grande échelle. Greenpeace continue ses campagnes de dénonciation des pires acteurs du secteur. Nous ciblons aujourd’hui HSBC, qui finance plusieurs sociétés dont les pratiques sont désastreuses pour les forêts indonésiennes. Des pratiques largement documentées et de notoriété publique dans le secteur de l’huile de palme que HSBC ne peut ignorer.
PEFC, FSC… les labels protègent-ils vraiment les forêts ?
Comme le montre le reportage, le label PEFC présente de nombreuses failles, et les contraintes à respecter pour obtenir ce label sont bien trop faibles. Il s’apparente beaucoup trop à une auto-certification où seuls les intérêts de l’industrie seraient pris en compte.
Greenpeace estime que le label FSC présente davantage de garanties, même s’il n’est pas exempt de reproches et pose de réels problèmes dans certains pays, notamment en Afrique. Greenpeace fait partie des membres fondateurs qui ont contribué à la mise en place de ce label depuis 1993, et s’applique à y être une partie prenante constructive mais critique. La principale originalité de ce label est sa gouvernance tripartite, intégrant des acteurs de l’environnement, de la défense des droits sociaux des employés (syndicats) et de l’industrie du bois. Il tente ainsi de concilier des objectifs de préservation de l’environnement, et des droits sociaux (populations forestières, salariés des exploitations du bois) avec des intérêts économiques.