Vous êtes-vous déjà demandé quel est le sort réservé aux vêtements usagés que vous donnez au recyclage ? Viola Wohlgemuth, chargée de campagne sur l’économie circulaire et les substances toxiques chez Greenpeace Allemagne, a mené l’enquête pour vous au Kenya et en Tanzanie… Voici le récit de ses investigations.

Toxiques

Reportage : l’Afrique, dépotoir de la fast fashion

Vous êtes-vous déjà demandé quel est le sort réservé aux vêtements usagés que vous donnez au recyclage ? Viola Wohlgemuth, chargée de campagne sur l’économie circulaire et les substances toxiques chez Greenpeace Allemagne, a mené l’enquête pour vous au Kenya et en Tanzanie… Voici le récit de ses investigations.

Un modèle économique délétère

Les marques de fast fashion prétendent avoir une approche circulaire, mais la réalité prouve qu’il s’agit d’un mythe. Nulle part leur échec n’est plus flagrant que dans les pays où leurs articles bon marché terminent leur courte vie, jetés et brûlés dans d’immenses décharges à ciel ouvert, le long des rivières ou de la mer, avec de graves conséquences pour la population locale et l’environnement.

J’ai effectué un voyage de recherche au Kenya et en Tanzanie pour documenter le problème des déchets textiles importés dans ces pays. Vous pouvez lire le rapport complet de mon enquête, intitulé « Cadeaux empoisonnés » (en anglais), publié par Greenpeace Allemagne.

Fast Fashion Research in Kenya. © Kevin McElvaney

Décharge de Dandora, Kenya. En raison de la surproduction croissante des marques de fast fashion, des quantités massives de textiles et de chaussures finissent dans des décharges, des rivières ou sont brûlées à ciel ouvert.
© Kevin McElvaney / Greenpeace

De l’importance du recyclage…

Lorsqu’on donne nos vêtements usagés à une organisation caritative, qu’on les dépose dans la boîte à recyclage d’un magasin de marque ou dans un conteneur, on peut supposer qu’ils seront vendus pour une bonne cause dans une friperie caritative ou qu’ils seront recyclés en nouveaux vêtements. En réalité, seule une petite quantité est effectivement revendue dans le pays où les vêtements ont été collectés*. Certains sont recyclés en produits de moindre qualité, comme des chiffons, et plus de la moitié sont exportés pour être « réutilisés », principalement en Afrique de l’Est et de l’Ouest et en Europe de l’Est.

* Pour la France, voir par exemple les chiffres de “Relais” ou de “Re_Fashion”.

… à l’épreuve de la réalité

Pour en savoir plus sur ce qu’il advient de ces vêtements usagés et exportés, je me suis rendue dans deux des cinq principaux importateurs mondiaux : le Kenya et la Tanzanie. J’ai appris que dans ces pays, les vêtements d’occasion importés sont connus sous le nom de « Mitumba », un mot kiswahili qui signifie « boule » ou « paquet », car ils sont généralement vendus aux détaillants sous forme de ballot. Ce système est important pour de nombreuses personnes et pour l’économie au Kenya et en Tanzanie mais lorsque je me suis entretenu avec des vendeurs sur le marché de Gikomba, à Nairobi, ils m’ont dit qu’aujourd’hui ils étaient souvent déçus lorsqu’ils ouvrent les ballots. En effet, près de la moitié des vêtements sont inutilisables et n’ont aucune valeur marchande : leur qualité est trop médiocre, ils sont abîmés ou souillés et ne représentent finalement rien d’autre que des déchets textiles.

Fast Fashion Research in Tanzania. © Kevin McElvaney

Marché de “Mitumba”, à Arusha, Tanzanie. A l’ouverture d’un ballot de vêtements d’occasion, la tension est à son comble : le contenu sera-t-il en suffisamment bon état pour être vendu, ou uniquement composé de déchets textiles ? © Kevin McElvaney / Greenpeace

Il s’avère donc que les pays du Nord ont trouvé un moyen détourné de se débarrasser du problème des déchets textiles en exportant leurs vêtements usagés vers les pays du Sud, forçant ainsi ces derniers à faire face aux conséquences de la mode rapide, même s’ils ne disposent d’aucune infrastructure pour le faire.

 

En descendant du marché de Gikomba vers la rivière Nairobi, j’ai été choquée de constater que je marchais littéralement sur des déchets textiles qui s’empilaient le long des berges, se retrouvaient dans l’eau et s’écoulaient vers l’aval de la rivière.

Fast Fashion Research in Kenya. © Kevin McElvaney

Gikomba market, Nairobi. Le sol est recouvert de plusieurs épaisseurs de déchets textiles.
© Kevin McElvaney / Greenpeace

Le soir, mes yeux piquaient à cause des feux à ciel ouvert allumés pour tenter de se débarrasser du problème en brûlant des chaussures et des textiles. La fumée toxique qui s’en échappe nuit à la santé des habitants de la région. 

Fast Fashion Research in Kenya. © Kevin McElvaney

Un camion déverse sa cargaison de déchets textiles à Dandora, à Nairobi. Cette décharge, saturée depuis 2001, continue d’être utilisée.
© Kevin McElvaney / Greenpeace

La surproduction toujours plus importante de la fast fashion a conduit à l’exportation de quantités croissantes de vêtements usagés du Nord vers le Sud. D’après des organisations kényanes, en 2019, le Kenya a importé 185 000 tonnes de vêtements d’occasion, dont 30 à 40 % sans aucune valeur marchande. En d’autres termes, entre 55 500 et 74 000 tonnes de ces fripes étaient en fait des déchets textiles. Chaque jour, environ 150 à 200 tonnes de déchets textiles (l’équivalent du chargement de 60 à 75 camions) finissent par être jetés, brûlés ou envoyés dans des décharges gigantesques comme celle de Dandora.

Fast Fashion Research in Kenya. © Kevin McElvaney

La rivière Nairobi, qui traverse le marché de Gikomba, est envahie de déchets textiles.
© Kevin McElvaney / Greenpeace

Un changement de mentalité s’impose

La tendance à la mode rapide a transformé les vêtements en articles jetables. Pour mettre un terme au flux de déchets textiles déversés dans les pays du Sud, il n’y a pas d’autre solution que de ralentir significativement la fast fashion. Les marques de mode mondiales doivent changer complètement leurs modèles commerciaux linéaires et commencer à produire moins de vêtements, de meilleure qualité, plus durables, réparables et réutilisables.

En outre, il est nécessaire de mettre un terme aux attitudes néocoloniales des pays du Nord qui imposent à ceux du Sud des pratiques commerciales à leur désavantage. Ce faisant, ils les transforment en dépotoirs textiles, tout en ne faisant quasiment rien pour soutenir ou développer la fabrication locale de textiles selon les mêmes normes sociales et environnementales qu’en Europe, dont ces pays ont besoin. 

Fast Fashion Research in Kenya. © Kevin McElvaney

Un magnifique tapis tissé à partir de jeans usagés par l’organisation kényane Africa Collects Textiles. Les concepteurs, les commerçants de Mitumba, les recycleurs et les collecteurs de déchets d’Afrique de l’Est peuvent apprendre aux pays du Nord comment valoriser et prendre soin des vêtements qui se trouvent déjà dans le système.
© Kevin McElvaney / Greenpeace

La nécessité d’une réglementation internationale stricte

Ces images choquantes de quantités massives de déchets textiles polluant l’environnement révèlent clairement qu’il ne suffit pas que les marques de mode améliorent  leurs chaînes d’approvisionnement en amont. Greenpeace les exhorte aussi à intensifier leurs efforts pour réduire drastiquement, en aval, les impacts catastrophiques de leurs produits en fin de vie. 

Récemment, la nouvelle stratégie textile de l’Union européenne a été publiée. Elle comprend des mesures importantes, telles qu’un plan visant à interdire l’exportation de déchets textiles et à promouvoir des vêtements durables et réparables. C’est un bon début, mais pour mettre un terme aux effets de plus en plus dévastateurs de la mode rapide sur les personnes et l’environnement, une réglementation de l’industrie de la mode doit être établie au niveau international par le biais d’un traité mondial.

Article de Viola Wohlgemuth, chargée de campagne sur l’économie circulaire et les substances toxiques chez Greenpeace Allemagne, traduit de l’anglais par Greenpeace France. L’ensemble des photos du reportage sont disponible ici.

Pour des conseils sur comment adopter un mode de vie plus responsable au quotidien, rendez-vous ici ou abonnez-vous gratuitement à notre newsletter des Mardis verts .