Réglementation contre le bois illégal : première condamnation judiciaire d’une entreprise à Châteauroux

Forêts

Aujourd’hui, le 6 septembre 2023, le tribunal correctionnel de Châteauroux vient de déclarer coupable l’entreprise Pierre ROBERT de délit de mise sur le marché illégale de bois importé et de la condamner à 20 000 euros d’amende et à la publication du jugement dans les journaux Le Monde et La Nouvelle République. L’entreprise a également été condamnée à verser 20 000 euros de dommages et intérêts à Greenpeace France et 3000 euros aux associations France Nature Environnement et Canopée au titre de leur préjudice moral. Cette première condamnation en France sera suivie d’un autre jugement, très attendu, celui du tribunal correctionnel de Rennes contre l’entreprise ISB FRANCE, leader français de l’importation de bois, le 11 septembre prochain.

La condamnation de l’entreprise Pierre ROBERT fait suite à une plainte déposée en novembre 2019 par Greenpeace France, rejointe par France Nature Environnement et Canopée. Il était reproché à cette entreprise de l’Indre d’avoir importé sur le marché européen, en septembre 2017, du bois Ipé depuis l’État du Pará au Brésil, sans procéder aux vérifications minimum exigées par le règlement européen sur le bois visant à éviter l’importation de bois illégal. Le travail de recherche de Greenpeace Brésil, de l’Ibama et du laboratoire de sylviculture de Sao Paulo, démontre que le bois importé par cette entreprise était issu de concessions forestières dont les documents officiels brésiliens étaient falsifiés. Certains arbres déclarés comme du bois Ipé n’existaient pas dans ces concessions. Ces fausses déclarations sont ensuite utilisées pour blanchir du bois illégal, une pratique très documentée dans cette région du Brésil.

À l’issue de l’enquête préliminaire, la Procureure de la République avait considéré qu’il existait suffisamment d’éléments à charge pour renvoyer l’entreprise à l’audience du 7 juin dernier pour délit de manquement à la diligence raisonnée

En défense, l’entreprise s’appuyait notamment sur un contrôle des services de la Préfecture – services dont le manque d’indépendance et d’efficacité est constamment décrié sur les dossiers environnementaux –  ayant conclu à sa conformité à la réglementation sur le bois. Elle vantait également les recommandations du Commerce du Bois (LCB), organisme professionnel qui procède à un nivellement par le bas de la gestion des risques des entreprises afin qu’elles puissent continuer à importer du bois en dépit des risques environnementaux.

Balayant les audits privés (LCB, FCBA), le tribunal correctionnel a fait application de la loi pénale en appréciant la négligence de l’entreprise au regard de plusieurs critères (complexité de la chaîne, pratiques de corruption, falsifications, fournisseurs déjà épinglés, etc.).

Malgré le faible montant de l’amende, les associations Greenpeace France, France Nature Environnement et Canopée estiment que “cette condamnation témoigne de la possible clairvoyance des tribunaux dans des contentieux climatiques où les entreprises peuvent avoir tendance à agiter vainement des audits privés et où l’État manque très nettement à ses obligations de régulation de ces secteurs à risques”. Selon Laura Monnier, responsable juridique à Greenpeace France, “Le tribunal émet un signal positif pour accueillir des contentieux mettant en cause des importateurs négligents dans leurs chaînes d’approvisionnement. Cela n’aurait pas été possible sans l’enquête préliminaire de qualité menée par la gendarmerie de La Châtre et les agents de l’Office Français de la Biodiversité. La qualité de la justice environnementale dépend des moyens et de la sensibilisation de ces services, qui doivent être constamment renforcés pour être à la hauteur de ces enjeux grandissants.”

Cette condamnation s’inscrit dans un contexte historique, après l’entrée en vigueur du règlement déforestation en juin 2023 qui absorbera le règlement sur le bois et couvrira également d’autres produits importés à risques environnementaux tels que le caoutchouc, le café, le cacao, le soja et l’huile de palme. Compte tenu de l’échec de l’application du règlement bois par la France, du fait du manque d’indépendance et de moyens des autorités en charge des contrôles sur les importateurs, la future organisation de l’application du règlement déforestation sera dans l’œil de mire de la société civile et des instances européennes. La France doit mobiliser de véritables moyens pour mettre fin à l’importation de produits forestiers et agricoles qui contribuent à la déforestation.

France Nature Environnement et Greenpeace France ont par ailleurs demandé la communication des bilans et rapports de contrôles des importateurs au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Refusant de répondre, ce dernier a contraint les associations à saisir le tribunal administratif de Paris. Pour Jérôme Graefe, juriste à FNE, “La France doit cesser d’être une passoire à déforestation importée, les autorités doivent être transparentes et renforcer drastiquement les contrôles des opérateurs.”