Loi Duplomb : vers le passage en force d’une loi rétrograde ?

Agriculture

Alors que la proposition de loi Duplomb doit être examinée à partir d’aujourd’hui à l’Assemblée nationale, Greenpeace France alerte sur un risque de passage en force de cette loi, à travers une motion de rejet qui pourrait être déposée pour accélérer son entérinement sans réel débat. Les député·es doivent s’opposer fermement à cette tactique. Le cas échéant, durant les débats, Greenpeace exhorte les député·es à rejeter sans ambiguïté cette proposition de loi, qui fait l’objet d’une très forte mobilisation citoyenne à son encontre [1].

« Cette proposition de loi est une honte et pourrait devenir l’une des plus rétrogrades pour l’écologie et la santé publique de ces dernières années !, alerte Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace. Elle prétend lever les contraintes des agriculteurs mais est en réalité un symbole de lutte contre l’écologie. Alors qu’une loi d’orientation agricole a été votée en février dernier après de longs mois de tractations, cette nouvelle proposition, portée par Laurent Duplomb, reprend tout simplement les propositions clés de la FNSEA. Et pour couronner le tout, un coup de force politique pourrait aujourd’hui accélérer la validation de cette loi, en contournant l’Assemblée nationale et en mettant sous le tapis la contestation citoyenne contre ce texte [2] ! Nous rappelons que ce n’est pas l’écologie qui étrangle l’agriculture : ce sont les décennies de choix politiques qui l’ont enfermée dans un modèle productiviste épuisé et destructeur, au profit d’une minorité d’exploitants agricoles privilégiés.»

En plus de la réintroduction des néonicotinoïdes et de la remise en question de l’Office français de la biodiversité ou plus récemment de l’agence Bio, Greenpeace dénonce une vision dangereuse de l’agriculture sur deux articles en particulier.

Article 3 : feu vert à l’élevage industriel
L’article 3 vise à faciliter l’implantation et l’agrandissement des élevages industriels, relevant des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à autorisation [3]. Les ICPE peuvent, par définition, « créer des risques pour les tiers et/ou des pollutions ou nuisances vis-à-vis de l’environnement ». Cet article accélèrera l’industrialisation de l’élevage alors que ce système a déjà un lourd impact environnemental : il contribue à la pollution des sols et des eaux, menace la biodiversité et aggrave la chute des petites et moyennes exploitations [4. Si cette loi était votée, les seuils pour soumettre obligatoirement un élevage à une procédure d’autorisation augmenterait considérablement et passeraient :

  • pour les volailles : de 40 000 à 85 000 emplacements – soit plus du double !
  • pour les porcs de production : de 2 000 à 3 000 emplacements, soit 50% de plus !
  • pour les élevages bovins : les seuils pourraient être rehaussés par décret ou, pire encore, ces élevages pourraient être potentiellement exonérés de ces procédures environnementales.

Alors que la proposition de loi prétend aider les éleveurs, une telle mesure ne « bénéficierait » qu’à une extrême minorité d’entre eux (moins de 2 % des exploitations sont aujourd’hui soumises à autorisation et moins de 8 % à enregistrement), et généralement aux plus grandes exploitations déjà les mieux loties économiquement.

Dans sa cartographie publiée en mai 2023, Greenpeace dénombrait plus de 3000 ICPE soumises à autorisation sur tout le territoire français [5]. 70 % d’entre elles sont situées en Bretagne et Pays de la Loire. De récentes analyses bactériologiques ont d’ailleurs révélé une contamination préoccupante de l’eau de baignade dans le Finistère par des bactéries pathogènes, probablement issues de la pollution fécale des élevages industriels environnants, qui doivent être encadrés en conséquence [6].

Par ailleurs, le texte risque de restreindre la consultation publique lors des procédures d’autorisation, bafouant le droit à l’information des citoyens et citoyennes et la démocratie environnementale.

Article 5 : l’eau confisquée par l’agro-industrie
L’article 5 propose de « faciliter la conciliation entre les besoins en eau des activités agricoles et la nécessaire protection de la ressource ». En facilitant le stockage de l’eau destinée aux mégabassines, cette proposition de loi ignore les besoins écologiques des zones humides et des cours d’eau. Ce type de priorisation des usages de l’eau favorise des pratiques agricoles intensives et met en péril les ressources en eau à long terme, au détriment des écosystèmes et des usages collectifs.

Greenpeace rappelle que les mégabassines servent essentiellement à alimenter des productions très gourmandes en eau comme le maïs, majoritairement destiné à l’élevage industriel et à l’exportation. Elles servent avant tout les intérêts d’une minorité d’acteurs agro-industriels qui persistent dans le maintien d’un système agricole intensif, au détriment de l’intérêt général et de solutions locales et paysannes [7]. À l’inverse de cette fuite en avant, les tensions sur les ressources en eau qui s’amplifient avec le réchauffement climatique impliquent un moratoire immédiat sur les mégabassines, demandé par de nombreuses associations dont Greenpeace.

« Greenpeace exhorte les député·es à faire preuve de responsabilité et de courage, et à s’opposer aux méthodes qui visent à contourner l’Assemblée nationale, tout en se mobilisant fermement contre ce texte rétrograde, poursuit Sandy Olivar Calvo. De nombreux député·es se questionnent d’ailleurs à l’idée de devoir voter en faveur de ce texte, à juste titre : nous les appelons à ne pas faillir face aux intimidations et aux violences des dirigeants de la FNSEA. Les revendications des citoyen·nes, tout aussi fortes et légitimes, doivent également être entendues : plus de 130 000 interpellations ont été envoyées aux parlementaires pour les appeler à s’opposer à cette loi.»

 

Notes aux rédactions :
[1] Voir « Quelles sont les véritables préoccupations et attentes des agriculteurs ? », enquête réalisée en novembre 2023 par BVA Xsight (en partenariat avec Terra Nova et avec le soutien de Parlons Climat) pour le Collectif Nourrir.
Au 26 mai 2025, plus de 130 000 citoyens et citoyennes ont interpellé leur député·e pour qu’il ou elle s’oppose à la proposition de loi de Laurent Duplomb.
[2] Si cette motion est adoptée, l’examen du texte à l’Assemblée nationale prend fin mais le processus législatif se poursuit : le gouvernement peut alors convoquer une commission mixte paritaire (composée de sept députés et sept sénateurs) chargée de trouver un compromis sur le texte. Une telle procédure priverait les député·es de leur capacité à amender le projet de loi, à s’y opposer et réduirait le temps laissé aux citoyens pour s’exprimer sur ce texte.
[3] Définition d’une ICPE : “Toute exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques pour les tiers – riverains et/ou de provoquer des pollutions ou nuisances vis-à-vis de l’environnement, est potentiellement une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE).” Source.
[4 Voir « Déclin du nombres de fermes : Greenpeace appelle les États européens à accompagner en priorité les agriculteurs les plus en difficulté », communiqué de presse de Greenpeace France, 3 octobre 2024.
Voir les trois notes de décryptage de Greenpeace :
– « Le méthane réchauffe le climat à plein gaz », Greenpeace France, avril 2023.
– « L’abus d’ammoniac est dangereux pour la santé et l’environnement », Greenpeace France, avril 2023.
– « Pollution de l’eau aux nitrates : un fléau européen », Greenpeace France, avril 2023.
[5] Voir « Élevage industriel : Greenpeace exige un moratoire sur les fermes-usines », communiqué de presse de Greenpeace France, 16/05/2023.
[6] Voir « Finistère : la santé des baigneurs mise en danger par des pollutions alarmantes, l’élevage industriel dans le viseur », communiqué de presse de Greenpeace France, 16/05/2025.
[7] En France, tandis que l’irrigation représente plus de 46 % des volumes d’eau consommés (premier poste de consommation), cette eau ne bénéficie qu’à 1 agriculteur sur 5, ceux ayant recours à l’irrigation et qui représentent seulement 6,8% des surfaces agricoles. Voir « Démocratie à sec : Greenpeace révèle comment les lobbies agricoles manipulent la gestion de l’eau avec la complicité de l’État », rapport de Greenpeace France, 13/02/2025.