Une réforme cruciale pour notre avenir est en train de se jouer, loin des projecteurs : celle de la stratégie énergétique de la France pour les 10 prochaines années. L’enjeu est de taille. Pourtant, plusieurs points essentiels sont écartés du débat sur le système électrique français. A commencer par celui de la sécurité nucléaire. Nous avons donc décidé de publier, dans une contribution officielle au débat public organisé par l'État, des éléments du rapport sur la sécurité nucléaire que nous avions commandé à sept experts indépendants. Par ailleurs, nous publions avec l’ensemble des associations membres du Réseau Action Climat, une 2e contribution officielle sur les 10 raisons pour lesquelles le gouvernement fait actuellement fausse route sur la transition.

Nucléaire

Dix éclairages sur
la transition énergétique

Une réforme cruciale pour notre avenir est en train de se jouer, loin des projecteurs : celle de la stratégie énergétique de la France pour les 10 prochaines années. L’enjeu est de taille. Pourtant, plusieurs points essentiels sont écartés du débat sur le système électrique français. A commencer par celui de la sécurité nucléaire. Nous avons donc décidé de publier, dans une contribution officielle au débat public organisé par l'État, des éléments du rapport sur la sécurité nucléaire que nous avions commandé à sept experts indépendants. Par ailleurs, nous publions avec l’ensemble des associations membres du Réseau Action Climat, une 2e contribution officielle sur les 10 raisons pour lesquelles le gouvernement fait actuellement fausse route sur la transition.

1. Le nucléaire est un risque de moins en moins contrôlable

Comment parler de politique énergétique sans parler de sécurité, de sûreté et de déchets nucléaires ? C’est la question que nous posons dans notre cahier d’acteur remis à la Commission nationale du débat public (CNDP) dans le cadre du débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie. Nous y reprenons notamment des éléments, jusque-là non publiés, sur la fragilité des piscines d’entreposage des combustibles usés et fortement radioactifs qui figuraient dans un rapport d’expert remis aux autorités compétentes par Greenpeace en octobre 2017 mais non public. Notre parc nucléaire est à bout de souffle : vulnérabilité face aux attaques extérieures, réacteurs vieillissants proches de l’âge critique de 40 ans, multiplication des dysfonctionnements et anomalies, problèmes de sûreté, difficultés financières… Pourtant, la filière nucléaire s’acharne à vouloir prolonger la durée de vie des réacteurs, coûte que coûte, malgré les risques. Ces dépenses pour maintenir le nucléaire agissent comme un verrou sur la transition énergétique : elles contribuent depuis des décennies à freiner l’essor des énergies renouvelables (ENR). L’équation est simple : plus on investit dans le nucléaire, moins on est en mesure d’investir dans les énergies renouvelables.

EDF : l'amour du risque nucléaire

2. La consommation d’électricité en France va diminuer

Contrairement aux idées reçues, la consommation d’électricité ne va pas augmenter, même si on utilise beaucoup plus de véhicules électriques. La consommation électrique est actuellement stable et devrait même diminuer grâce à des équipements moins gourmands et à la rénovation énergétique des bâtiments. C’est RTE (l’opérateur en charge du réseau de transport de l’électricité, filiale d’EDF) qui l’affirme : la consommation électrique est « stable ou en baisse dans toutes les simulations ». Cela change la donne ! De son côté, EDF (en tant que fournisseur d’électricité) continue de marteler que la consommation d’électricité va augmenter… pour justifier le maintien d’une forte capacité de production nucléaire.

Courbe des scénarios prévisionnels de consommation électrique de RTE

Source : RTE, Bilan prévisionnel 2017-2035

3. Les énergies renouvelables ont un potentiel considérable

En 2015, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) avait évalué que l’ensemble des « gisements » d’énergie renouvelable pour la production d’électricité correspondait à cinq fois la totalité de la capacité nucléaire, thermique et renouvelable actuellement installée dans le pays. Largement de quoi répondre à toute la demande tout en renonçant à la fois aux énergies fossiles et au nucléaire.

Malgré cela, les énergies renouvelables (ENR) représentaient en 2017 moins de 19 % de la consommation électrique, alors que l’objectif fixé est d’atteindre 27 % en 2020. Des scénarios de RTE montrent que si on ferme les réacteurs nucléaires à 40 ans, la part d’ENR dans la production d’électricité atteindrait 70 % d’ici 2035, et 100 % à horizon 2050. Mais le gouvernement a décidé de les écarter…

Source : Un mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations (Ademe, 2015)

Source : Un mix électrique 100% renouvelable ? Analyses et optimisations (Ademe, 2015)

4. Les énergies renouvelables créent de la valeur et des emplois locaux

Aujourd’hui, des acteurs locaux, des coopératives et même des particuliers peuvent devenir producteurs d’énergies renouvelables et agir pour la transition énergétique. Le développement de programmes énergétiques locaux, notamment citoyens et participatifs, est un formidable moyen de créer de la valeur économique et des emplois et de dynamiser des territoires en France. Un exemple, présenté par Energie partagée : dans un projet éolien de huit MW porté par une entreprise extérieure, seulement 5,35 millions d’euros reviendraient au territoire ; pour un projet similaire porté par des citoyens et acteurs locaux, le montant atteindrait 15,34 millions d’euros, soit 10 millions d’euros de plus pour le territoire. En Allemagne, par exemple, près de la moitié de la capacité installée des énergies renouvelables électriques depuis 2000 appartient à des personnes privées. Au Danemark, des coopératives énergétiques existent depuis les années 1980 et la loi de 2009 impose l’ouverture à 20 % minimum du capital des parcs éoliens aux riverains.

Source : Les collectivités territoriales, parties prenantes des projets participatifs et citoyens d'énergie renouvelable (Energie partagée, septembre 2017)

Source : Les collectivités territoriales, parties prenantes des projets participatifs et citoyens d’énergie renouvelable (Energie partagée, septembre 2017)

5. Les énergies renouvelables coûtent de moins en moins cher

Contrairement au nucléaire dont les coûts ne cessent d’augmenter, les énergies renouvelables, en particulier le solaire et l’éolien, ont vu leurs coûts baisser drastiquement ces dernières années, les rendant de plus en plus compétitives. Ainsi, les derniers appels d’offres en France ont abouti à un prix moyen pondéré de 65,4 €/MWh pour l’éolien terrestre et de 61,6 €/MWh pour les centrales solaires au sol de grande puissance, soit la moitié du prix de l’électricité qui serait éventuellement produite par le futur EPR d’Hinkley Point, en Angleterre. Et la tendance à la baisse va se poursuivre dans les années à venir.

6. Il est possible de renoncer au charbon et au nucléaire sans nuire au climat

Les pro-nucléaires, repris par le gouvernement, prétendent qu’en fermant des réacteurs nucléaires, on augmenterait les émissions de CO2, responsables des dérèglements climatiques. Paradoxalement, ces dernières années, ce sont nos centrales vieillissantes et intermittentes qui ont conduit à une augmentation des émissions de CO2 du système électrique français : pendant les périodes où trop de réacteurs étaient à l’arrêt de manière imprévue, il a fallu importer de l’électricité provenant en partie de centrales à charbon. Les scénarios de RTE montrent qu’il est possible de fermer les dernières centrales à charbon en France tout en fermant des réacteurs nucléaires sans remettre en cause nos objectifs climatiques. Cela passe notamment par le développement d’alternatives : les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. A l’inverse d’autres pays, le système électrique français est peu émetteur de CO2. Il ne représente qu’un faible levier de lutte contre les changements climatiques par rapport aux transports et à l’agriculture, sur lesquels des progrès doivent être réalisés.

 

7. En réduisant les pics de consommation, on peut se passer des énergies nucléaires et fossiles

A chaque grand froid, des pics de consommation électrique sont enregistrés, faisant craindre un « black-out ». La raison : plus d’un ménage français sur trois utilise le chauffage électrique, fortement encouragé par l’État depuis le lancement du programme électro-nucléaire. Chaque degré en moins sur le thermomètre impose de trouver sur le marché l’équivalent de plus de deux réacteurs nucléaires. Une réalité qui fait de la France le pays le plus « thermo-sensible » d’Europe (c’est-à-dire le plus sensible au froid). Éliminer ces pointes, c’est éliminer une des raisons d’être du nucléaire et des énergies fossiles. Cela n’a pourtant encore jamais été une priorité politique. Il serait temps qu’elle le devienne.

Courbe de consommation électrique 2016-2017

Source : Bilan électrique 2017, RTE

8. La France risque de produire beaucoup trop d’électricité nucléaire

La France produit déjà beaucoup (trop) d’électricité. Elle exporte ce surplus dans les pays voisins. Selon les scénarios envisageant la prolongation de l’ensemble du parc nucléaire, sur une longue durée, la France se retrouverait à produire tellement d’électricité qu’elle exporterait l’équivalent de vingt réacteurs nucléaires ! C’est énorme… Et ça ne correspond pas à l’évolution de la demande européenne, stable et qui va tendre à diminuer, alors que nos voisins développent les énergies renouvelables. Que fera-t-on de ce surplus d’électricité ? Faudra-t-il la vendre à un prix inférieur à son coût réel de production ? C’est un non-sens économique.

9. L’électricité nucléaire n’est plus bon marché

L’électricité d’origine nucléaire coûte de plus en plus cher. Selon la Cour des comptes, le coût courant économique du nucléaire français est ainsi passé de 49,6 €/MWh en 2010 à 59,8 €/MWh en 2013, puis à 62,6 €/MWh au second semestre 2014. Aujourd’hui, le coût réel est sans doute encore plus élevé, notamment du fait de la baisse de la production du parc nucléaire. Le coût complet de production du réacteur EPR de Flamanville (toujours en construction) est estimé à plus de 90 €/MWh, soit deux fois plus que le niveau des meilleures énergies renouvelables aujourd’hui. Le gouvernement ne tient pourtant pas compte de ces chiffrages et se base… sur les dires d’EDF, qui établit le coût du nucléaire existant, prolongé de 10 ou 20 ans, à 33 €/MWh. Ce niveau serait compétitif vis-à-vis de n’importe quel autre nouveau moyen de production… Sauf qu’il ne correspond pas à la réalité et n’intègre pas un grand nombre de dépenses.

10. EDF et la filière nucléaire sont en crise financière

Après la faillite d’Areva (aujourd’hui Orano), rattrapée à grand frais par l’État français, celle d’EDF, principal producteur d’électricité et unique exploitant du parc nucléaire français ? Lourdement endettée, EDF a vu sa situation se dégrader encore en 2017 : excédent brut d’exploitation au niveau le plus faible depuis 2006, chiffre d’affaires de nouveau en baisse, chute de 31 % du résultat net courant et, pour la onzième année consécutive, free cash flow négatif (autrement dit, EDF termine chaque année à découvert…). Les perspectives d’amélioration restent faibles : capacité de production en berne, augmentation des coûts visibles et cachés, prix de marché bas, débouchés internationaux limités. Or, l’entreprise s’est engagée sur un plan d’investissement très lourd pour maintenir et prolonger le parc nucléaire français, construire l’EPR d’Hinkley Point et terminer celui de Flamanville… Il n’est aujourd’hui pas clair si la maison EDF est en capacité d’assumer la totalité de ces investissements. L’État est au courant, puisqu’il a validé plusieurs opérations de sauvetage. Pourtant, il continue de repousser les échéances et de prolonger un maximum de réacteurs nucléaires.

 

Faillite d'EDF : action de Greenpeace devant le siège

Ces dix points sont détaillés dans le document du Réseau Action Climat : La PPE : dix raisons pour lesquelles le gouvernement fait fausse route sur l’avenir de notre système électrique

Ces dix réalités dérangent ceux qui veulent maintenir un statu quo sur le nucléaire et laisser EDF dicter notre politique énergétique. Le gouvernement peut définir une feuille de route qui nous permettrait de passer progressivement à un système électrique 100 % renouvelable, sans carbone et sans nucléaire. Mais à condition d’annoncer un plan de fermetures de réacteurs nucléaires : combien et à quelles échéances ? C’est le préalable indispensable à toute transition énergétique. En attendant, le gouvernement fait fausse route.