C’est parti pour la seconde semaine de négociations au Bourget. Un nouveau texte, à peine rétréci, est sur la table des délégations ministérielles qui prennent maintenant le relais.
Leur rôle, concrètement : nettoyer les options encore diverses et souvent contradictoires, porteuses de visions inconciliables, contenues dans les parenthèses qui émaillent le texte, afin de parvenir à un document consolidé, approuvé au consensus de tous les États présents. Comme en définitive les choses ont relativement peu avancé la semaine dernière, tout reste encore possible. Le meilleur… comme le pire.
Bons points et mauvais points
D’abord un rappel. Le mandat des négociations pour cette COP21 a été établi en 2011 à Durban et il est clair : définir un cadre juridique qui puisse s’appliquer à partir de 2020 pour succéder au protocole de Kyoto expiré, sur la base des nouveaux engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre des 196 parties, afin de revenir sur une trajectoire permettant de maintenir la hausse des températures en deçà de 2°C. Pour l’instant, nous sommes plutôt sur une trajectoire de 3°C environ d’ici la fin du siècle, si l’on fait le compte des contributions nationales actuellement sur les tables du Bourget.
Côté bons points : le nouveau texte laisse encore la porte ouverte à l’adoption d’un objectif de long terme, indispensable à la convergence concrète de tous les acteurs économiques de la planète vers un mode de production compatible avec la sauvegarde du climat. Mais il va falloir jouer très serré. Car certains pays ne sont toujours pas prêts à lâcher du lest sur leurs intérêts nationaux de court terme, au profit d’un objectif collectif de sortie des fossiles et de 100% d’énergies renouvelables.
Autre bon point : on trouve dans le texte des options qui pourraient ressembler aux premiers rouages d’un mécanisme de révision des ambitions climatiques de chaque pays, avec des rendez-vous réguliers tous les cinq ans, en commençant dès avant 2020… Mais c’est loin d’être gagné encore. Et ce ne le sera pas sans une nouvelle impulsion politique forte des ministres réunis cette semaine au Bourget.
Hélas, si une option prévoit une session de dialogue avant 2020 (en 2018-2019) pour faire le point sur la trajectoire en matière d’émissions et de réchauffement sur laquelle nous placent les contributions des pays, le texte ne spécifie pas aujourd’hui que cette session de dialogue 2018-2019 a bien pour objectif de revoir les ambitions des pays à la hausse. Ni même si ce serait le cas pour les différentes revues proposées pour l’après 2020. Ou comment entériner la procrastination, alors que le dérèglement climatique frappe déjà de plein fouet certaines populations.
En revanche, l’inscription d’un nouvel objectif de 1,5°C à la place des 2°C – qui contre toute attente commence à s’imposer au Bourget (même un pays aussi rétrograde sur le plan écologique que l’Australie y souscrit désormais) – est encore tout à fait possible.
Côtés blocage, comme d’habitude, la question des financements fait achopper les négociations. Les pays du Nord ne sont pas prêts, pour le moment, à assumer leur responsabilités dans le dérèglement climatique en mettant en œuvre une solidarité envers les pays du Sud. Notamment, rien n’est prévu pour le moment pour assister les populations forcées de migrer à cause du réchauffement climatique.
Bref, autant de considérations un peu « geeky » comme on dit chez nous, mais via lesquelles se « crante » un bon accord.
Sommet pour le climat : la COP des citoyens
Pendant que le nouveau texte était approuvé en plénière samedi, la société civile se mobilisait à Montreuil, en banlieue parisienne, à l’occasion d’un sommet citoyen pour le climat. Dans ce cadre, les rues du centre montreuillois ont été animées par un marché paysan, un forum pour le climat et le Village mondial des alternatives, érigé à l’initiative d’Alternatiba. L’idée de ce village : montrer que dans tous les aspects de notre vie, même ceux qui paraissent anodin dans la brume des habitudes, des alternatives existent pour nous permettre de construire un monde meilleur, capable de relever le défi climatique.
Parer au sentiment d’impuissance
Loin du Bourget et des séances de négociations, le Village mondial des alternatives rapproche en réalité les citoyens de la COP21 « officielle ». Face au sentiment d’impuissance et de distance que peuvent ressentir les citoyens lambda face aux événements du Bourget, le Village mondial des alternatives permet de découvrir, d’apprendre et d’agir. Concrètement. Au quotidien.
Car quel que soit l’accord auquel parviendront (ou pas) les négociateurs d’ici le 12 décembre prochain, le changement viendra d’abord des citoyens. D’où la nécessité de faire savoir, dans un travail d’éducation populaire, que des solutions alternatives viables ne demandent qu’à exister, en termes d’éducation, d’énergie, de culture, etc.
Des vœux pour la planète
Musique, spectacles de rue, militants déguisés… L’ambiance qui régnait ce week-end à Montreuil était bon enfant – bien différente du ronronnement fade, sans âme, aéroportuaire qui glace le Bourget. Un village divisé en 11 quartiers : agriculture et alimentation, climat-énergie, éducation, mobilité, fabriquer-réparer, culture et médias, économie soutenable et finance responsable, biens communs et biodiversité, consommation responsable, droits, solidarité et migrations, habitat.
A l’entrée du quartier climat-énergie trônait un immense arbre à vœux où chacun pouvait inscrire sur un ruban de couleur ce qu’il ou elle « aime dans le monde, et espère ne pas perdre à cause du chaos climatique ». Et les idées de manquaient pas : « la dignité humaine et le respect », « l’amour qui lie les humains à la nature », « les couleurs d’un coucher de soleil »… Tout un champ sémantique absent du Bourget.
Une agriculture écologique pour une alimentation saine
Des dizaines d’agriculteurs de la Confédération paysanne avaient fait le déplacement jusqu’à Montreuil pour tenir un immense marché paysan. C’est par nos papilles que les agriculteurs ont souhaité faire passer leur message, avec des produits paysans issus d’une agriculture saine pour aujourd’hui et les générations à venir.
L’agroécologie repose sur des pratiques exemptes d’intrants chimiques (tels que les pesticides) et peu consommatrices d’énergies fossiles, la distribution locale et saisonnière étant l’un des principes intrinsèques de l’agriculture écologique.
Énergie positive
Au sein du quartier climat-énergie, les militants de Greenpeace sensibilisaient les passants à la question fondamentale des énergies renouvelables – qui soit dit en passant ne figure toujours pas dans le texte de négociations. Et ils n’ont pas chômé ! Entre présentation des initiatives territoriales et signatures de pétition, les activités étaient nombreuses.
Entre autres alternatives stimulantes, Enercoop, une entreprise solidaire qui permet à tous de se fournir en énergie 100% renouvelable, était présente à Montreuil. Son crédo : un modèle qui se veut « sobre en énergie, local, organisé dans le cadre d’une gouvernance partagée, transparente et démocratique.
Bol d’air
Autre initiative intéressante, celle du Réseau école et nature, qui souhaite redynamiser, valoriser et promouvoir la richesse pédagogique de l’éducation en extérieur grâce à leur programme « Enseigner dehors ». « Va prendre tes leçons dans la nature, c’est là qu’est notre futur », affirmait Léonard de Vinci. Le Réseau école et nature compte bien perpétuer cette maxime en redonnant à la nature toutes ses dimensions, notamment celle d’un lieu d’imagination et d’expression pour les enfants.
Un peu plus net
Le web figurait également parmi les sujets abordés au Village mondial des alternatives dans le quartier culture et médias, notamment avec Franciliens.net, un fournisseur associatif d’internet. Le but de l’association : « fournir un accès à internet à ses membres, répondant à des critères de neutralité et de transparence ». De nombreux fondateurs de l’association ont même été jusqu’à pratiquer l’auto-hébergement et cherchent à promouvoir cette pratique afin que chaque internaute puisse avoir le contrôle de sa connexion.
Si elle n’était pas présente au Village des alternatives, Newmanity est également une belle alternative aux services d’email classiques. Cette start-up souhaite en effet promouvoir un usage durable du web en proposant un service qui permet de limiter son empreinte numérique (protection et libre disposition des données personnelles) et son empreinte carbone (data centers à bilan carbone neutre).
Maisons en paille, démocratie directe, formation de maçon en Afrique pour des habitats adaptés au climat sahélien… les alternatives présentées à Montreuil ce week-end étaient pléthores. Alors que la plupart des événements organisés par la société civile dans le cadre de la COP21 ont été annulés, le Village des alternatives a pu être maintenu. L’occasion de faire entendre des messages, d’apprendre, de démarrer sa transition écologique pour certains et, pour tous, d’être ensemble.
196 chaises libérées
Le clou de ce sommet, ce fut sans doute la réunion organisée autour des 196 chaises (le même nombre que les Parties qui négocient au Bourget) chapardées tout au long de l’année par les militants d’Attac, d’Alternatiba, de Bizi! ou d’autres dans des institutions financières coupables d’évasion fiscale. La place du village s’est ainsi remplie de toutes sortes de chaises bariolées, progressant de façon cadencée en rang d’oignons, où des citoyens venus de la France entière et d’autres pays ont pu prendre place aux côtés de Susan Georges ou d’Edgar Morin.
Le message : relier la crise climatique à l’évasion fiscale que s’évertuent à tolérer les pays “développés” dont la France. Pourquoi ? Pour démontrer que les financements nécessaires à l’engagement d’une transition énergétique aussi bien dans les pays du nord que dans ceux du sud existent bel et bien : il suffit d’aller les chercher dans ces paradis fiscaux où ils fructifient à bonne distance de l’intérêt général.
John Q
Enfin, dimanche après-midi, des centaines de personnes se sont réunies devant le Mur de la Paix, face à la Tour Eiffel, afin de rappeler que la solution à la crise climatique ne peut que reposer sur 100% d’énergies renouvelables pour tous d’ici à 2050.
Mis en musique par l’artiste John Quigley et immortalisé par l’objectif de Yann-Arthus Bertrand, ce moment a été l’occasion pour des centaines de citoyens de rencontrer et de porter un message fort : limiter le dérèglement climatique, c’est aussi travailler à moins de conflits et à plus de paix.