[RAPPORT] Une enquête de Harvard révèle comment les réseaux sociaux sont devenus le nouveau terrain de jeu de la communication trompeuse de l’industrie fossile

Un rapport de l’Université de Harvard (1) commandé par Greenpeace Pays-Bas, Trois nuances de green(washing) (disponible en anglais), a analysé les activités sur les réseaux sociaux des plus grandes marques automobiles, de compagnies aériennes et des principales majors pétrolières et gazières en Europe, révélant l’utilisation éhontée du greenwashing et du tokenism (2) dans leur communication. Ce greenwashing a été étudié à l’échelle de l’Union européenne, entre le 1er juin et le 31 juillet 2022, alors même que l’Europe connaissait des canicules, une sécheresse historique, des pics de chaleur, de violents orages et d’autres signes d’un changement climatique dévastateur. Le rapport a analysé 2 325 publications sur Twitter, Instagram, Facebook, TikTok et YouTube des 12 plus grandes marques automobiles, des 5 plus grandes compagnies aériennes et des 5 principales compagnies pétrolières et gazières, dont TotalEnergies. Cela en fait l’analyse la plus complète des nouvelles formes de greenwashing de cette industrie.

Ce rapport met en lumière la stratégie de communication du secteur des fossiles sur les réseaux sociaux. Après avoir pendant des années nié la réalité du changement climatique et minimisé leurs responsabilités, les industriels usent désormais de tactiques plus subtiles et sophistiquées mais tout aussi trompeuses. Pour Hélène Bourges, responsable des campagnes énergies fossiles de Greenpeace France, “ leur silence assourdissant sur le changement climatique est meublé par un nouveau type de greenwashing qui combine des images de personnes appartenant à des minorités à des messages sur l’innovation verte, et des paroles d’experts pour accompagner leurs récits techno-optimistes”.

En outre, une partie des messages publiés sont sans aucun rapport avec le cœur d’activité de ces entreprises. Elles parlent de sport, d’éducation, de causes sociales, etc. “Les subtilités de ces nouvelles formes de green et woke washing ne sont pas moins dangereuses que les anciennes stratégies de négationnisme climatique car elles participent à légitimer l’acceptabilité sociale de l’industrie fossile en reléguant leurs responsabilités sur le crash climatique aux oubliettes. Elles sont le cheval de Troie de cette industrie : sous une apparence inclusive et bien intentionnée, elles cachent la destruction de notre planète”, continue Hélène Bourges.

En utilisant des méthodes établies de sciences sociales pour analyser à la fois les images et le texte des messages des entreprises, les chercheurs d’Harvard ont constaté que :

  • Seule une poignée négligeable de posts faisait explicitement référence au changement climatique, alors même que le sujet était au cœur de l’actualité.
  • Deux tiers (67 %) des messages publiés sur les réseaux sociaux par ces entreprises donnaient une image d’ »innovation verte” à leurs activités commerciales, ce qui, selon les auteurs, représente divers types et degrés de greenwashing.
  • Un post sur cinq des compagnies pétrolières, automobiles et aériennes a utilisé le sport, la mode et les causes sociales pour détourner l’attention de leurs rôles et responsabilités dans la crise climatique. Les chercheurs qualifient cette pratique de « détournement d’attention ».
  • Les entreprises ont utilisé des images de nature, de femme, de personnes non caucasiennes, de jeunes, d’experts, de sportifs et de célébrités pour renforcer leurs messages de greenwashing et de détournement d’attention.
  • Seule une publicité « verte » sur cinq vend un produit, les autres servent principalement à présenter la marque comme verte.
  • Pour un message qui parle du cœur de leur activité, les entreprises productrices d’énergies fossiles publient 3 messages qui parlent d’”innovation verte”.

Pour Geoffrey Supran, le chercheur associé au département d’histoire des sciences de l’université de Harvard et auteur principal du rapport : « Les réseaux sociaux sont le nouvel eldorado de la tromperie et du retardement de l’action contre le changement climatique. Nos résultats montrent que, alors que l’Europe connaissait l’été le plus chaud jamais enregistré, certaines des entreprises les plus responsables du réchauffement de la planète sont restées silencieuses sur les médias sociaux au sujet de la crise climatique, choisissant plutôt d’utiliser le langage et l’imagerie pour se positionner stratégiquement comme des marques vertes, innovantes et responsables. »

Ce greenwashing doit être combattu et régulé par une interdiction légale de toute publicité et de tout parrainage en faveur des entreprises liées au secteur des fossiles dans toute l’Europe. L’année dernière, Greenpeace et 40 autres organisations ont lancé une initiative citoyenne européenne (ICE) appelant à une nouvelle loi semblable à celle sur le tabac qui interdit la publicité et le parrainage en faveur des combustibles fossiles dans l’Union européenne. “Nous ne pourrons jamais nous attaquer sérieusement à l’enjeu du changement climatique sans interdire la publicité pour ces produits », conclut Hélène Bourges.

Sur le même sujet, Greenpeace France, les Amis de la Terre France et Notre Affaire à Tous, soutenues par l’association ClientEarth, ont assigné en mars 2022 TotalEnergies en justice pour pratiques commerciales trompeuses, dénonçant la vaste campagne de greenwashing de la multinationale pétrolière et gazière dans le cadre de son changement de nom de Total vers TotalEnergies.

Pour la première fois cette année, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a identifié le rôle des relations publiques et de la publicité dans l’alimentation de la crise climatique, tandis que des centaines de scientifiques ont signé une lettre appelant les agences de relations publiques et de publicité à cesser de travailler avec les entreprises de combustibles fossiles et de diffuser la désinformation sur le climat.