Le 22 avril 2021, Greenpeace France, ANTICOR et l’association d’élèves et d’anciens élèves de l’École polytechnique la Sphinx, ont déposé plainte auprès du Parquet de Paris contre Monsieur Patrick Pouyanné, PDG de TOTAL, et contre X, pour des faits susceptibles de constituer un délit de prise illégale d’intérêts.

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Total à Polytechnique : plainte contre Patrick Pouyanné

Le 22 avril 2021, Greenpeace France, ANTICOR et l’association d’élèves et d’anciens élèves de l’École polytechnique la Sphinx, ont déposé plainte auprès du Parquet de Paris contre Monsieur Patrick Pouyanné, PDG de TOTAL, et contre X, pour des faits susceptibles de constituer un délit de prise illégale d’intérêts.

Depuis plus d’un an, Greenpeace France soutient la mobilisation des étudiant·es et ancien·nes étudiant·es de Polytechnique contre le projet d’implantation d’un centre de Total au cœur du campus de l’école.

Renforcer sa présence dans les écoles, de la primaire à l’enseignement supérieur, est un axe tactique majeur de la stratégie d’influence de la multinationale Total. Constatant que le pétrole séduit de moins en moins les nouvelles générations d’étudiant·es, il devient de plus en plus crucial pour la firme de s’infiltrer au sein des campus des grandes écoles  son terrain de jeu privilégié  pour entretenir un vivier d’étudiant·es brillant·es, les biberonner et les séduire en les persuadant que son modèle économique basé sur les énergies fossiles est le bon.

Le projet de Total d’installer un bâtiment abritant sa direction recherche et développement au cœur du campus de la prestigieuse École polytechnique, prévoyant d’accueillir 250 de ses salarié·es, est une illustration parfaite de cette stratégie d’influence. Si cette stratégie n’est pas, en elle-même, pénalement répréhensible, la présence de Patrick Pouyanné (PDG de Total et ancien polytechnicien) au sein du Conseil d’administration de Polytechnique, soulève des questions de conflit d’intérêts. Ses prises de paroles au sein du Conseil d’administration au nom de l’entreprise et sur un projet auquel il était intéressé seraient susceptibles de constituer une infraction pénale.

Un peu d’histoire

L’École polytechnique est l’une des grandes écoles d’ingénierie françaises, située à Saclay depuis 1976. Elle est désormais au cœur du pôle technologique Paris-Saclay. Elle a le statut d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel et est placée sous la tutelle du ministère des Armées. La direction de l’École est assurée par un Conseil d’administration.

Tout débute en 2018 au moment du rapprochement entre Total et l’École Polytechnique (surnommée l’X), se concrétisant autour de deux projets présentés comme un “partenariat stratégique” : le financement d’une chaire de recherche et d’enseignement, à hauteur de trois millions d’euros, et un projet d’implantation d’un centre de Total. En avril 2018, Total propose en effet à la direction de Polytechnique d’implanter sur le campus un centre de recherche et d’innovation dédié aux nouvelles énergies et aux sciences des données, également voué à accueillir la direction recherche et développement (R&D) du groupe.

Deux mois seulement après la lettre d’intention du PDG de Total, lors du Conseil d’administration de Polytechnique réuni en juin 2018, une première résolution est votée, validant sur le principe le projet proposé par Total : la construction d’un bâtiment de 12 000 mètres carrés destiné à accueillir la direction R&D de Total, des chercheurs et des étudiants.

L’entrée de Patrick Pouyanné au Conseil d’administration

Trois mois seulement après cette délibération, Patrick Pouyanné est alors nommé au Conseil d’administration de l’École polytechnique au titre des personnalités qualifiées, par arrêté de la ministre des Armées du 20 septembre 2018.

Polytechnique étant un établissement public, Patrick Pouyanné, désormais administrateur de l’école, est alors investi d’une mission de service public. Ayant un intérêt privé à la poursuite de la collaboration entre son entreprise et l’École, il se devait de faire preuve d’impartialité et de ne jamais intervenir dans le processus décisionnel relatif à ce projet.

La double casquette d’administrateur et de PDG de Total commandait à Patrick Pouyanné d’éviter tout risque de confusion entre ses deux fonctions, notamment tout risque d’influence sur un projet auquel il était intéressé. A ce titre, une prise de parole lors de laquelle il aurait exprimé un avis clair sur une orientation stratégique, pourrait constituer une prise illégale d’intérêts, un délit pénal passible de cinq ans de prison et 500 000 euros d’amende.

Malgré sa nomination et le “partenariat stratégique” qui est en train de se mettre en place entre l’entreprise et l’établissement public, le risque de conflit d’intérêts ne semble pas avoir été abordé en Conseil d’administration et le règlement de l’X ne prévoit aucun mécanisme permettant de prévenir les conflits d’intérêts. A notre connaissance, Patrick Pouyanné ne s’est donc pas écarté du projet alors qu’une autre personne de TOTAL aurait pu être désignée pour représenter l’entreprise.

Durant son mandat et alors que la validation du projet n’était pas finalisée, Patrick Pouyanné est intervenu en Conseil d’administration au nom de Total pour exprimer l’avis de l’entreprise sur le projet et ses préférences, très nettes, concernant l’emplacement, la rapidité de réalisation, et le refus d’abandon du projet malgré la contestation par des étudiant·es et des professeur·es. L’une de ses prises de paroles a eu lieu avant une décision clé concernant le projet.

Ces faits sont susceptibles de constituer l’infraction de prise illégale d’intérêts.

La validation du projet malgré la contestation d’étudiant·es et de professeur·es

Bien que l’origine du projet remonte à 2018, ce n’est que fin 2019 que la grande majorité des étudiant·es a pris connaissance de l’existence du projet. Une première tribune des élèves dénonce le projet, et un vote est organisé dans la foulée par les élus étudiants : 61% des élèves se prononcent contre l’emplacement du bâtiment, jugé beaucoup trop proche des lieux d’habitation et de vie. Le comité de mobilisation Polytechnique n’est pas à vendre est créé, et s’ensuivent plusieurs mois de mobilisation, avec des prises de position des élèves et des anciens élèves. En mars 2020, Greenpeace apporte son soutien en organisant une action conjointement avec les Amis de la Terre et Action Climat Paris. Suite à cette vague de mobilisation, les administrateurs de Polytechnique reconnaissent qu’il faut étudier un possible déplacement du bâtiment.

La question cruciale de l’emplacement du bâtiment de Total revient donc à l’ordre du jour du Conseil d’administration en avril 2020. Plusieurs emplacements possibles sont proposés aux administrateurs. Lors des discussions, Patrick Pouyanné indique clairement quel est l’emplacement favorisé par le groupe.

Quelques jours plus tard, le sénat des professeurs de l’X ainsi que le conseil académique font part de leurs réserves sur la conduite du projet et insistent sur la transparence du processus de décision. En juin 2020, la Sphinx fait parvenir une note juridique au Conseil d’administration dans laquelle elle alerte des risques juridiques entourant le processus.

Finalement, l’emplacement définitif choisi le 25 juin 2020 ne se situe qu’à 250 mètres de l’emplacement initial, toujours au cœur des lieux de vie et d’enseignement des étudiant·es. Il correspond, par ailleurs, au choix favorisé par le PDG de TOTAL.

Total vient d’obtenir un permis de construire et les travaux devraient commencer en juillet.

Et après ?

Il appartiendra au Parquet de décider des suites qu’il entend apporter à cette affaire.

Selon ces suites, il reviendra à la direction et au Conseil d’administration de l’Ecole polytechnique de prendre leurs responsabilités. En parallèle, la Sphinx (association d’étudiant·es et anciens étudiant·es de Polytechnique) a initié un contentieux devant le tribunal administratif pour obtenir l’annulation de la délibération du Conseil d’administration du 25 juin 2020, celui qui donnait la validation finale au projet de Total. Affaire à suivre.

Pour aller plus loin : visionnez l’épisode 2 de notre série documentaire sur le soft power de Total,  Grandes écoles : l’antichambre de Total.