Les cartes montent sur la table et les dés se mettent à rouler

Océans

Stéphan Beaucher, consultant Océans pour Greenpeace France, nous raconte la réunion annuelle internationale pour la Conservation des Thonidés (ICCAT)

Hier soir, on a fait dans la légèreté. La délégation américaine, dirigée par une femme, a pris l’initiative d’une soirée « Women of ICCAT ». Non seulement notre délégation a été privée de deux de ses précieuses représentantes (nos collègues grecque et turque) pendant plus de deux heures, mais pendant tout ce temps le bar de l’hôtel était fermé ! Plus sérieusement d’année en année on voit de plus en plus fréquemment des femmes dans les délégations. Ainsi les États-Unis, la Croatie, le Maroc, la Norvège et l’Islande ont confié à des femmes la délicate tâche de gérer les activités d’un métier exclusivement masculin qui ne rechigne pas dès lors qu’il s’agit de se montrer quelque peu machiste.

Ici c’est un peu comme dans un casino. On joue des milliers de tonnes de thon et les dizaines de millions d’euros qui vont avec comme d’autres jouent des piles de jetons. Trois propositions sont donc tombées coup sur coup. Elles sont l’œuvre de blocs de pays dont certains que l’on attendait pas sur le thon rouge de Méditerranée.

Note : À partir de maintenant les négociations vont réellement commencer et ce qui figure ci-dessous va être totalement chamboulé. Il est donc nécessaire de se référer au dernier post sur le blog pour savoir où nous en sommes.
Nous avons donc sur la table les soumissions suivantes :

  • Brésil, Panama, Afrique du Sud, Guatemala et Russie : TAC de 15 000 tonnes et fermeture aux senneurs à partir du 1er mai.
  • Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte et Syrie : TAC de 25 500 tonnes et interdiction de la pêche récréative au thon rouge.
  • Union Européenne : TAC de 25 500 tonnes, réduction de la période d’activité pour les senneurs (15 avril au 15 juin), les palangriers (1er mars au 1er juin) et la canne, le chalut et la pêche récréative : 15 juin au 15 octobre. L’UE propose également toute une batterie de plusieurs dizaines de mesures de contrôle et de mise en application.


On le voit, la proposition du bloc de Maghreb est très proche de celle de l’Europe. En cela, et sans vouloir en quoi que ce soit faire injure à ces délégations, cette proposition peut être considérée comme un sous marin bruxellois permettant à Bruxelles de montrer que l’UE n’est pas seule et qu’elle est suivie par les autres acteurs clé de la pêcherie. On le verra plus tard cette stratégie a échoué et la commission est tombée sur plus roublarde qu’elle même. Les discussions ont commencé vers 14 heures 30 et tous s’attendaient à ce qu’elles durent tout l’après midi. Rapidement la ligne de front se profilait : on apprenait qu’en fait les États-Unis et le Japon avaient été « associés », avec plusieurs autres parties contractantes dont on connaîtrait la liste ultérieurement, à la rédaction de la première des 3. Dans les rangs européens où l’on attendait ces deux poids lourds sur le terrain de l’amendement, les visages marquaient une très nette préoccupation : Manifestement l’histoire était perçue comme très mal engagée. Le délégué japonais prévenait que son pays N’IMPORTERAIT pas plus que 15 000 tonnes l’avis scientifique, soulignant que dans tous les cas il cesserait toute importation dans 2 ans étant donné que le thon rouge serait entre temps passé entre les mains de la CITES.

On a assisté à un numéro assez pathétique du délégué libyen alternant entre une colère surjouée, les railleries à l’encontre du délégué japonais (« qu’allons nous faire de nos senneurs? »), du directeur du SCRS et de l’ICCAT « incapable, au bout de plus de 40 ans d’existence, d’avoir des données fiables ». Le délégué canadien posait ensuite la question de savoir si le thon avait le temps d’attendre et répondait par la négative. Les États-Unis faisaient remarquer à l’UE que la proposition européenne était non conforme à la réglementation européenne en ce qu’elle tournait le dos à l’approche de précaution qui figure pourtant dans les textes européens. Inutile de préciser que les délégués européens ont très moyennement apprécié.
Le Brésil a alors mis les pays qui exprimaient des réserves sur l’analyse scientifique au pied du mur : Si vous estimez que les données scientifiques sont insuffisantes alors, c’est le principe de précaution qui doit s’imposer. La Tunisie expliquait qu’elle ne disposait pas des ressources financières nécessaires à une éventuelle indemnisation des pêcheurs dans le cas d’une diminution imposée de l’effort de pêche, rejoignant ainsi le délégué européen qui avait prédit de graves troubles sociaux si on diminuait le TAC. En résumé ce serait le status quo ou le chaos ! Un point, enfin, pourrait dans une certaine mesure, venir pourrir le débat : Plusieurs délégués du flanc sud de la Méditerranée ont lancé le débat sur le thème du droit au développement pour les pays du sud et de leur droit à choisir leurs voies de développement.

Pour terminer ce post, les contours du « clan des 15 000 tonnes » se modifient : il a perdu le Panama et apparemment la Russie mais a intégré l’Islande, le Canada, le Mexique, le Ghana, et Sao Tomé-Principe. On parle également de l’abandon du Guatemela. D’ici à lundi, les lignes vont ainsi changer en permanence en fonction des tractations et des alliances objectives qui en découleront.
La suite dans le prochain post.