Soldes : une mauvaise affaire pour l’Afrique

Les soldes d’été débutent en France, déclenchant une frénésie d’achats… et de déchets. Durant cette période, une grande partie des vêtements achetés ne seront portés que 7 à 10 fois avant d’être jetés ou d’aller saturer les filières de seconde main avant d’être exportés, sous couvert de dons, vers l’Afrique.

Chaque seconde, un camion de vêtements usagés est brûlé ou enfoui. Une grande partie de ces déchets finit dans les rues, les rivières ou sur les plages d’Afrique. Un drame environnemental et humain, documenté dans une nouvelle note édifiante publiée en 2025 par Greenpeace Afrique.

Au niveau mondial, 83 millions de tonnes de déchets textiles sont générés chaque année, dont 65 % sont issus de fibres synthétiques dérivées du pétrole. Une large partie de ces déchets venus des pays du Nord finissent en Afrique. En 2019, le continent recevait à lui seul 46 % des textiles usagés exportés par l’Union européenne. Sous couvert d’exportations de « seconde main », l’industrie de la fast fashion déverse des tonnes de vêtements invendables sur les marchés africains. Derrière l’image séduisante d’un commerce circulaire se cache une réalité brutale : celle d’un néocolonialisme des déchets.

Une marée de textile jetable

Selon Greenpeace Afrique, près de 900 000 tonnes de vêtements usagés ont été importées en 2022 par six pays principalement : l’Angola, le Kenya, la République démocratique du Congo, la Tunisie, le Ghana et le Bénin.

Le Kenya, longtemps approvisionné principalement par l’Europe et le Royaume-Uni, importe désormais en majorité de la Chine, dont les volumes ont fortement augmenté ces dernières années. L’Ouganda, de son côté, reçoit essentiellement des vêtements venus de Chine, des États-Unis et du Canada.

À Nairobi, le marché de Gikomba reçoit des cargaisons entières, dont jusqu’à la moitié est inutilisable, faute de qualité. Ces vêtements finissent incinérés à ciel ouvert, ou déversés dans des décharges informelles comme celle de Dandora, menaçant les écosystèmes et la santé des populations locales.

Des personnes sur la plage de Jamestown, une ville de pêcheurs où les déchets textiles sont rejetés dans la mer. Accra, Ghana, octobre 2023. © Kevin McElvaney / Greenpeace

Près de 15 millions de vêtements arrivent chaque semaine à Accra, au Ghana, et 89 % d’entre eux contiennent des fibres synthétiques, principales responsables de la pollution microplastique que l’on retrouve dans l’air, les sols, les rivières, les poissons – et les corps humains. D’après une récente enquête menée par Greenpeace et The Guardian, certains d’entre eux terminent leur course dans des zones humides protégées.

Un coût humain et écologique démesuré

Les pollutions engendrées par ces déchets textiles sont nombreuses : rejets de substances toxiques, contamination des eaux, obstruction des canaux d’évacuation, émissions de microplastiques… La libération de ces microplastiques contribue également à perturber la capacité des océans à absorber le carbone, ce qui accélère le changement climatique. Il faut savoir que l’industrie textile mondiale génère à elle seule entre 4 et 8 % des émissions globales de gaz à effet de serre, chiffre qui pourrait grimper jusqu’à 26 % en 2050 sans changement dans les modes de consommation.

Lagune de Korle, envahie de déchets. Old Fadame, Accra, Ghana, octobre 2023 © Kevin McElvaney / Greenpeace

À Accra, l’air autour des blanchisseries où l’on brûle des vêtements pour chauffer l’eau contient des niveaux alarmants de benzène et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, classés cancérigènes.

Dans les zones de tri ou de combustion, les vêtements sont souvent brûlés à l’air libre, dégageant des fumées toxiques dans des zones densément peuplées. Les vêtements servent parfois de combustible pour chauffer l’eau ou rôtir les cacahuètes, exposant les personnes à des fumées sans aucune protection. Ces pratiques sont liées à une recrudescence de maladies respiratoires telles que l’asthme, la bronchite ou les inflammations pulmonaires.

Par ailleurs, les textiles issus de la fast fashion sont imprégnés de substances chimiques – parmi plus de 3000 produits utilisés dans l’industrie textile, 250 sont reconnus toxiques, persistants ou bioaccumulables. Arsenic, plomb, benzène ou composés perfluorés sont retrouvés dans les sols et cours d’eau, sans filière de traitement efficace.

Un homme teint des jeans sur le marché de Kantamanto.Ghana, octobre 2023
© Kevin McElvaney / Greenpeace

Les conséquences sont aussi sociales : des pêcheurs de Jamestown (Ghana) racontent qu’ils ramènent plus de vêtements que de poissons dans leurs filets. À Kampala (Ouganda), 48 tonnes de vêtements finissent chaque jour dans des décharges ou des feux à ciel ouvert. De plus, les vêtements pas chers et de mauvaise qualité de l’ultra-fast-fashion ayant inondé le marché, les commerçants et commerçantes locales, notamment au Kenya, doivent payer un prix d’or pour des lots inutilisables, avec de lourdes conséquences financières sur leur activité.

Des lois trop faibles, des lobbies trop forts

Les cadres juridiques internationaux et régionaux censés réguler le commerce des vêtements usagés et ses impacts environnementaux existent bel et bien mais leur portée reste limitée, leur application inégale et leur ambition souvent étouffée par les intérêts industriels et les rapports de force géopolitiques.

Au niveau international, la Convention de Bâle, qui encadre les transferts de déchets dangereux, n’inclut pas clairement les déchets textiles, permettant aux exportateurs de les faire passer pour des produits de seconde main. Une réforme du texte, soutenue par la France, la Suède et le Danemark, est en discussion pour y remédier.

En parallèle, les négociations sur un traité mondial sur les plastiques, censé encadrer l’ensemble du cycle de vie des plastiques, y compris les microfibres textiles, sont ralenties par l’opposition des États producteurs et de l’industrie pétrolière.

À cela s’ajoute le Global Framework on Chemicals, adopté en 2023, qui entend promouvoir une gestion plus sûre des substances chimiques tout au long du cycle de vie des produits – y compris dans l’industrie textile –, mais dont la portée reste pour l’instant très générale et non contraignante.

Des activistes de Greenpeace manifeste contre l’industrie de la fast fashion qui contribue à faire de l’Afrique une poubelle pour les déchets textiles. Berlin février 2024 © Paul Lovis Wagner / Greenpeace.

Sur le continent africain, la Convention de Bamako interdit l’importation de déchets dangereux mais seuls 29 pays l’ont ratifiée et les contrôles restent quasi inexistants. En pratique, les flux de vêtements invendables franchissent donc toujours les frontières sans entrave.

L’Union européenne a quant à elle adopté en 2022 une stratégie textile visant à restreindre les exportations vers les pays non membres de l’OCDE et à renforcer la responsabilité élargie des producteurs (REP). Mais ces mesures restent déclaratives : aucun mécanisme n’oblige concrètement les marques à financer la gestion des déchets qu’elles contribuent à générer à l’étranger.

La Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) avait annoncé en 2016 un plan pour interdire progressivement les importations de vêtements usagés. Face aux menaces de représailles commerciales des États-Unis, seul le Rwanda a résisté, relançant au passage sa filière textile nationale. Une stratégie textile régionale 2020–2030 a depuis été adoptée, mais elle reste timidement mise en œuvre.

Enfin, les vêtements de seconde main ne profitent plus, depuis 2023, des avantages commerciaux de la zone de libre-échange africaine (ZLEC) comme les réductions de droits de douane entre pays africains. Une mesure symbolique, sans valeur contraignante, qui ne ralentit en rien les importations massives.

Aucun de ces cadres ne remet en cause le déséquilibre structurel entre pays exportateurs et pays receveurs. Tant que la loi fermera les yeux sur cette asymétrie, les déchets continueront à circuler librement, au détriment de ceux qui n’en sont ni les producteurs, ni les bénéficiaires.

En France, une loi anti-fast fashion bien molle

Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale en mars 2024, la loi anti-fast fashion a été définitivement adoptée par le Sénat le 10 juin 2025. Cependant, largement réécrite au cours de la (longue) navette parlementaire, cette proposition de loi devra encore passer par une commission mixte paritaire, réunissant sénateurs et député·es, pour aboutir à une version finale. Cette étape ne devrait pas avoir lieu avant l’automne. Portée comme une avancée environnementale, elle vise à encadrer la publicité, instaurer un système de malus écologique et définir légalement la mode jetable. Mais la version votée au Sénat a été largement édulcorée : le malus initialement prévu (de cinq euros par article en 2025, jusqu’à dix euros en 2030) a été remplacé par un mécanisme flou, reposant sur des critères de « durabilité » laissés à l’appréciation des éco-organismes. Quant à l’interdiction de la publicité, elle a été restreinte aux plateformes comme Shein ou Temu, en visant essentiellement les influenceurs, sans remise en cause des grandes marques européennes.

Cette frilosité législative illustre une nouvelle fois le double discours des pays de l’hémisphère Nord : afficher une volonté de transition écologique tout en ménageant les intérêts économiques des industriels. En ciblant uniquement les géants asiatiques et en épargnant les acteurs plus locaux de la fast fashion, la France risque de produire une loi symbolique plus qu’efficace. Sans mécanisme de responsabilité globale ni rupture avec le modèle de surproduction, les exportations massives de vêtements invendables vers les pays africains se poursuivront avec leur cortège de pollutions, d’injustices et de ravages sanitaires.

Lire l’analyse du texte de loi par Zero Waste France.

Vers une autre mode : les recommandations de Greenpeace Afrique

À l’occasion du Jour du dépassement de la Terre, des bénévoles de Greenpeace organisent un troc de vêtements pour alerter sur les conséquences de la surconsommation de vêtements. Hambourg, Allemagne, juillet 2022 © Kevin McElvaney / Greenpeace

Le monde ne pourra pas résoudre la crise climatique ni construire une société juste tant qu’il continuera à traiter les pays d’Afrique (entre autres) comme sa décharge. Il est temps d’imposer aux multinationales de la mode une autre voie : celle du respect, de la durabilité, et de la justice environnementale.

Pour sortir de cette impasse, Greenpeace Afrique et ses alliés du mouvement #BreakFreeFromPlastic proposent plusieurs mesures phares :

Vous pouvez également agir à votre échelle en adoptant une consommation responsable : privilégier la seconde main, réparer vos vêtements, choisir des marques engagées et refuser la fast fashion pour soutenir une mode plus éthique et durable.
Vous pouvez aussi signer notre pétition pour un traité ambitieux contre la pollution plastique.