C’est un paradoxe. Chaque jour, les conséquences du dérèglement climatique et les atteintes à l’environnement sont de plus en plus visibles. Et pourtant, les écologistes qui lancent l’alerte depuis plusieurs décennies n’ont jamais autant été la cible d’actes de répression et de violence.

Désarmement

Répression contre les militants écologistes : la preuve par 4

C’est un paradoxe. Chaque jour, les conséquences du dérèglement climatique et les atteintes à l’environnement sont de plus en plus visibles. Et pourtant, les écologistes qui lancent l’alerte depuis plusieurs décennies n’ont jamais autant été la cible d’actes de répression et de violence.

Les militants et militantes écologistes ne sont plus seulement traités de doux utopistes ou de « mangeurs de graines ». Ils et elles font désormais l’objet de violentes attaques, y compris émanant du plus haut niveau de l’État. Une dérive extrêmement dangereuse, qui touche également les mouvements sociaux et la société civile dans son ensemble. Voici 4 raisons principales pour lesquelles nous devons nous dresser de toute urgence contre cela.

1. Des propos dangereux et menaçants à l’encontre des écologistes

Les attaques verbales à l’égard des militants et militantes écologistes ne sont pas nouvelles. Elles visaient jusqu’à présent à caricaturer le discours écologiste pour éviter de parler des choses qui fâchent… et continuer à polluer allègrement. Celles et ceux qui défendent l’environnement sont tour à tour présentés soit comme des naïfs adeptes du « modèle amish » et du retour à la lampe à huile, soit au contraire comme des « Khmers verts », « ayatollahs », partisans d’une « dictature verte » et d’une « écologie punitive ».

Ces expressions directement issues de l’extrême-droite sont désormais reprises sans inhibition par des élu·es, membres du gouvernement, voire par le président de la République lui-même. Un pas supplémentaire a été franchi dans cette course à la rhétorique anti-écologiste et droitière. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accuse désormais les défenseurs de l’environnement de « terrorisme intellectuel ». L’expression, qui renvoie explicitement aux attentats commis par des fondamentalistes, ne fait plus sourire. Alors qu’elle ne repose sur aucun fait avéré, cette escalade sémantique est une véritable insulte faite aux victimes de ces actes odieux.

Présenter les écologistes comme des « terroristes » permet au gouvernement de justifier l’emploi de tous les moyens : surveillance généralisée, marquage des manifestants, menaces d’interpellation, violences de la part des forces de l’ordre… En présentant les choses ainsi, le ministre de l’Intérieur tente de faire passer les opposants et militants environnementaux pour des « ennemis de la République ». Devant les Sénateurs et Sénatrices, M. Darmanin a d’ailleurs demandé aux parlementaires de lui donner les mêmes moyens pour surveiller des militants écologistes que pour lutter contre… le trafic de drogue ou le terrorisme !

Il ne s’agit plus seulement de railler ou caricaturer, mais bien de criminaliser. Et ce faisant, de dissuader une bonne partie des citoyens et citoyennes sensibles aux questions écologiques de prendre part à des mouvements et manifestations pourtant pacifiques. Plus une seule manifestation ne se passe désormais sans que tombent des amendes ou que des personnes soient placées en garde à vue.

2. La loi séparatisme utilisée pour faire taire opposants, écologistes et défenseurs des droits humains

Nous avions alerté sur les risques majeurs que représente la loi dite « séparatisme » pour les libertés fondamentales en général et pour les mouvements écologistes en particulier. Celle-ci a malgré tout été adoptée le 24 août 2021, suivie d’un décret d’application le 31 décembre de la même année. L’actualité récente nous a malheureusement donné raison : cette loi est bel et bien utilisée par le gouvernement pour attaquer les libertés associatives, notamment à l’encontre d’organisations environnementales.

Un exemple récent de l’instrumentalisation du droit et de cette loi séparatisme : l’annonce de la dissolution du mouvement environnemental des « Soulèvements de la Terre », par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Avant cette loi, la dissolution de groupements ou d’associations n’était réservée qu’à des actes particulièrement graves tels que ceux des milices privées ou des groupes de combat, les actes de terrorisme, la collaboration avec l’ennemi et les manifestations armées. Mais la loi « séparatisme » est venue élargir cette liste à des actes bien plus équivoques comme ceux relatifs à la « provocation à des agissements violents contre les personnes ou les biens ».

Cette loi élargit considérablement les possibilités de dissolution administrative. Dans le cas des Soulèvements de la Terre, aucune condamnation pénale n’a été prononcée par un juge judiciaire, seul gardien des libertés individuelles. L’annonce de leur dissolution constitue un acte politique arbitraire. Et M. Darmanin ne se prive pas d’en jouer.

Par ailleurs, la loi « séparatisme », en imposant aux ONG d’intérêt général (comme la nôtre), de respecter un mal nommé « contrat d’engagement républicain » (CER), menace directement notre liberté de parole et d’action. Ce CER interdit d’entreprendre des « actions contraires à la loi » ou « susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ». Une formulation très large qui permet de museler les voix écologistes, en autorisant les préfectures à bloquer des subventions et interdire l’accès à des instances ou locaux publics.

Plusieurs associations environnementales ont d’ores et déjà été ciblées. Le préfet de la Vienne a ainsi demandé le retrait d’une subvention municipale accordée à Alternatiba Poitiers, au motif que cette association organisait des formations à la « désobéissance civile ». Dans le département voisin des Deux-Sèvres, un collectif local de sensibilisation à l’environnement, l’Association de Protection d’Information et d’Etudes de l’Eau et de son Environnement (APIEEE) s’est vu retirer par la préfecture sa subvention pour des animations nature auprès des jeunes. Et elle a été exclue de toutes les instances de concertation liées à l’eau dans lesquelles elle siégeait. Motif : ses prises de positions contre les mégabassines.

Et pour Greenpeace France, quel impact pourrait avoir cette loi « séparatisme » ? Nous sommes fort heureusement financés à 100% par nos adhérent·es et ne recevons aucune subvention. Mais nos modes d’action historiques, la désobéissance civile et la confrontation non-violente, seraient directement menacés. Si l’Administration venait à considérer que les actes de désobéissance civile tels que les mènent notre association constituent une violation du « contrat d’engagement républicain », nous pourrions perdre notre agrément pour la protection de l’environnement. Or cet agrément facilite la défense de l’intérêt général et des causes environnementales devant les tribunaux. Il nous permet également de siéger dans certaines instances nationales. Nous devrions donc choisir entre deux de nos méthodes d’action les plus efficaces.

Cette loi « séparatisme » est venue compléter un arsenal de répression et de surveillance drastiquement renforcé au fil des ans : loi « sécurité globale », projet de fichage massif, cellule Demeter, autorisation des systèmes de vidéosurveillance biométrique… À cela s’ajoutent des dispositifs et mesures parfois à la limite de la légalité, voire carrément hors de tout cadre légal : interdictions de manifester régulièrement décrétées, moyens de marquage des manifestants… Et, par ailleurs, les moyens pour défendre pacifiquement et juridiquement l’environnement s’amenuisent peu à peu. Autant de motifs de vive inquiétude et d’indignation.

Manifestations de syndicats, associations et militants écologistes pour la protection des lanceurs d’alerte

3. Des menaces et agressions contre des écologistes passées sous silence

Les membres du gouvernement n’hésitent pas à s’indigner des blocages et actions non-violentes menés par des militants écologistes. Ils sont en revanche beaucoup plus silencieux quand ces mêmes militants pacifistes et lanceurs d’alertes sont victimes de violences, y compris physiques.

Pas un mot de soutien à Paul François, l’agriculteur qui avait fait condamner Monsanto après quinze ans de procédure. Celui-ci a pourtant été violemment agressé à son domicile, menacé, roué de coups et ligoté. La justice suit son cours, « pour lui comme pour les autres », s’est contenté de déclarer devant l’Assemblée nationale le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau.

Silence également quand le vice-président de Nature Environnement 17, l’antenne locale de France Nature Environnement, a vu son domicile saccagé par des agriculteurs membres de la FNSEA. Pas plus de réaction quand le président de la fédération de Charente-Maritime de ce syndicat affirme que l’écologiste avait simplement reçu « la monnaie de sa pièce » : « peut-être que cette personne a bien cherché ce qui lui arrive ». Le tort de Nature Environnement 17 et de son vice-président ? Avoir mis en place une cellule juridique pour faire respecter le droit de l’environnement par des actions en justice, notamment dans le cadre de la gestion de l’eau et des projets de mégabassines. Silence aussi à l’égard du militant qui est toujours entre la vie et la mort, à la suite de la manifestation de Sainte-Soline contre les mégabassines.

Ces menaces concernent aussi des élu·es d’opposition, comme a pu le constater Marine Tondelier, élue municipale et cheffe du parti EELV. Celle-ci a été menacée dans une lettre co-signée par le président de la Chambre d’Agriculture du Lot-et-Garonne et les co-présidents du syndicat proche de l’extrême droite, Coordination rurale 47 : « Ne venez pas chez nous, ça va mal se passer (…) Il n’y aura pas de trêve dans nos combats. Nous veillons et veillerons dans notre fief ». Le ministre de l’Intérieur a fini par réagir, questionné par le Sénat à ce sujet… sans condamner les auteurs de ces menaces ! Pire, Gérald Darmanin a répondu aux Sénateurs et Sénatrices en qualifiant « d’action militante » le déplacement de l’élue verte, pourtant effectué dans le cadre de ses fonctions de députée et cheffe de parti.

Ces agressions ne sont malheureusement pas isolées et se multiplient, sans susciter de réactions outrées de ministres à l’inverse hyper-réactifs pour dénigrer les militant·es écologistes. Les menaces de mort à l’encontre d’élu·es, de défenseur·es de l’environnement, de journalistes sont courantes et la passivité du pouvoir exécutif face à ces agissements est extrêmement inquiétante. Morgan Large, elle-même journaliste et victime d’intimidations suite à ses enquêtes sur l’agro-industrie et le scandale des algues vertes en Bretagne, a appelé à un « geste fort de l’État »… sans réponse à ce jour.

4. Des dérives autoritaires dangereuses pour l’écologie et pour la démocratie dans son ensemble

Dans le monde, un·e défenseur·e de l’environnement est tué tous les deux jours. C’est le triste constat fait par l’ONG Global Witness sur ces dix dernières années. Ces menaces et ces crimes, y compris de la part d’États, ne sont pas nouveaux. Nous en savons quelque chose, à Greenpeace : l’attentat contre le Rainbow Warrior commis par les services secrets français a coûté la vie à notre collègue photographe Fernando Pereira. C’était en 1985.

Dans un État comme la France, censé être démocratique, nous sommes en droit d’attendre que ces femmes et ces hommes qui lancent l’alerte soient protégés activement, contre toute menace physique ou verbale. Or, c’est l’inverse qui se produit, année après année, loi après loi, manifestation après manifestation. Le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement s’est dit particulièrement préoccupé par cette évolution en France, déplorant l’usage disproportionné de la force lors des mouvements de Sainte Soline.

L’enjeu de la protection des lanceurs d’alerte et des militants écologistes va bien au-delà des questions environnementales : il s’agit de défendre l’ensemble des libertés fondamentales face aux intérêts privés. Les menaces de retrait de subvention en faveur d’associations respectées comme la LDH, tout comme la répression sans précédent à l’égard des mouvements sociaux, des Gilets jaunes aux manifestations contre la réforme des retraites, en sont une illustration supplémentaire. Les multiples alertes à tous niveaux, de la part d’observateurs locaux, nationaux ou internationaux comme celles de la Défenseure des droits ou de la Commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe, doivent nous amener toutes et tous à réagir et à ne surtout pas baisser les bras dans ce moment crucial pour la démocratie et la planète.

Face à cette situation très inquiétante, que faire ?

Agir pour faire valoir le droit

  • Avec plusieurs associations, nous avons déposé un recours contre le décret d’application de la loi « séparatisme » dont nous demandions l’abrogation. Contre l’avis du rapporteur général, le Conseil d’Etat a malheureusement validé toutes les dispositions du Contrat d’engagement républicain, y compris les plus controversées.
  • Nous sommes mobilisé·es au sein du collectif « On ne se taira pas » pour défendre les libertés en nous associant à des procédures juridiques pour défendre des associations attaquées.
  • Nous sommes l’un des membres fondateurs de la Maison des lanceurs d’alerte pour protéger celles et ceux qui veulent lancer l’alerte et travaillons à une législation plus protectrice dans ce domaine.
  • Nous dénonçons les abus : au sein de collectifs, nous publions des tribunes et appels pour porter sur la place publique les abus et les répressions contre les mouvements écologistes ou de droits humains.

S’informer, militer, alerter

Ce que vous pouvez faire à nos côtés, en tant que citoyennes et citoyens :

  • Contribuer à dénoncer ces scandales, en partageant et diffusant ces informations sur vos réseaux.
    Lancer l’alerte et signaler les menaces ou abus institutionnalisés : consultez le guide du lanceur d’alerte pour savoir comment agir si vous avez connaissance de telles dérives.
  • Signaler toute menace, abus ou dérive autoritaire dont vous êtes victime ou témoin, que ce soit auprès d’ONG telles que la Ligue des droits de l’Homme, d’organismes publics ou d’instances judiciaires nationales et européennes.
  • Connaître et faire valoir vos droits, notamment lors des manifestations
  • Continuer à militer, chacun et chacune selon ses possibilités, et soutenir autant que possible le travail des associations écologistes et de défense des droits humains, que ce soit par des dons ou différentes formes d’action. C’est justement parce que de plus en plus de voix s’élèvent pour la justice sociale et environnementale que la répression s’intensifie. Ne baissons pas les bras et soyons solidaires, plus que jamais !