[RAPPORT] Comment TotalEnergies influence la science ? Une enquête de Greenpeace révèle l’omniprésence de la major dans le milieu scientifique

Dans un rapport intitulé ‘Comment TotalEnergies influence la science ?’, Greenpeace France a analysé et documenté le ‘science-washing’ de TotalEnergies, c’est-à-dire son influence potentielle au sein du milieu scientifique. L’objectif de cette investigation était d’enquêter sur la présence de TotalEnergies dans le milieu académique (à la fois dans les grandes écoles, les laboratoires de recherche et les universités), et de comprendre comment la major pourrait tenter d’influencer la science pour asseoir ses intérêts privés.

Les résultats sont inquiétants : “Le groupe est omniprésent au sein du milieu académique et scientifique, alerte Edina Ifticène, chargée de campagne Energies fossiles à Greenpeace France. Pire, la major peut profiter de cette situation pour imposer sa vision dans les débats sur la transition énergétique : une transition technologique à petits pas sans remise en cause de notre modèle économique et social, sans prise en compte de l’efficacité énergétique ou de la sobriété, et qui passe à côté de la sortie des énergies fossiles, pourtant essentielle”.

Une présence tentaculaire
L’enquête, qui a passé au crible 103 structures de recherche publique, montre que plus de la moitié d’entre elles, 55%, ont des liens avec TotalEnergies, qu’il s’agisse de financement, de collaboration ou de co-direction d’une structure de recherche. Pour 31% de ces structures, le lien avec TotalEnergies va au-delà du simple financement. TotalEnergies est alors présente au sein de la gouvernance de la structure ou encore des laboratoires ou des chaires communes ont été mis en place. Comment dans ce cas garantir leur indépendance ? Une étude nord-américaine sur l’impact du financement sur les résultats d’une étude scientifique a conclu que les travaux différaient dans leurs résultats selon leur financement. Ce « biais de financement » est évoqué par la journaliste Stéphane Horel dans son ouvrage ‘Lobbytomie” où elle précise “les recherches sponsorisées ont 4 à 8 fois plus de chances de déboucher sur des conclusions favorables aux industriels” qui les financent (1).

L’université de Pau, entre autres, est largement dépendante de TotalEnergies. 41 % des laboratoires de l’université sont liés à la major, et trois d’entre eux, regroupant la moitié des scientifiques de l’université, travaillent en partenariat direct avec elle. Les trois quarts des partenariats de TotalEnergies avec l’université de Pau portent sur les énergies fossiles.

Autre exemple, au sein du cluster Paris-Saclay, qui regroupe l’élite scientifique des sciences de l’environnement et du climat, la quasi-totalité des recherches sur le climat et la transition sont financées par TotalEnergies. Certains centres de recherche, comme le E4C sur le climat et la transition énergétique, semblent pieds et poings liés avec la multinationale (2) .

Des financements de la recherche ‘Total-compatible’
Autre conclusion alarmante de cette enquête, les financements de TotalEnergies dans la recherche sont pour moitié consacrés aux énergies fossiles, voire même à leur expansion, malgré la soi-disante transition verte de l’entreprise. C’est le cas notamment avec l’accord Convergence conclu entre le BRGM, le CNRS et TotalEnergies sur l’évolution géodynamique des massifs montagneux et son impact sur les conditions de formation des hydrocarbures, qui a permis de mettre en lumière de potentielles mannes pétrolières. Ainsi, TotalEnergies utilisent des structures publiques de recherche pour conforter son modèle extractiviste, à l’heure où il faudrait cesser tout nouveau projet pour contenir le réchauffement climatique conformément aux recommandations du GIEC ou de l’Agence internationale de l’énergie.

De plus, avec sa force de frappe financière, la multinationale a la capacité d’orienter l’avancée de la connaissance scientifique en sur-finançant des programmes de recherche “Total-compatibles”. C’est la stratégie du macro-biais de financement. Ainsi, si l’enquête démontre que 36% des financements de la recherche de TotalEnergies sont consacrés à la thématique ‘climat / transition’, la moitié de ces financements vont à la promotion de fausses solutions pour lutter contre le changement climatique telles que les technologies de stockage, de captation et d’utilisation du carbone (CCS / CCUS). Ces technologies sont devenues LA solution pour lutter contre le changement climatique pour les multinationales alors qu’elles n’en sont qu’à leur balbutiement et que leur efficacité est largement questionnée (3). En revanche, les recherches de Greenpeace n’ont trouvé aucun financement de TotalEnergies à des programmes sur la sobriété énergétique ou les conséquences du dérèglement climatique.

Les exemples du science-washing de TotalEnergies sont nombreux dans le rapport. “Ce science-washing complète ainsi la panoplie des stratégies d’influence de la multinationale (4) pour retarder l’adoption de tout cadre réglementaire qui la contraindrait à réduire sa production d’énergies fossiles”, conclut Edina Ifticène.

De même qu’il en a été, au moins en partie, pour le tabac et l’alcool, il faut interdire tout partenariat, sponsoring et publicité du secteur des énergies fossiles, dans tous les domaines de la société, y compris le secteur académique. Sans contrainte réglementaire, les pétroliers continueront par tous les moyens à défendre leur business modèle, au détriment du vivant et du climat.

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METHODOLOGIE

L’enquête s’est basée sur des recherches documentaires et bibliographiques ainsi que des entretiens avec diverses sources (principalement des scientifiques).
103 structures de recherche publique française, ce qui représente 65% des structures du pays selon le Ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur, ont été étudiées.
Toutes les structures hors université ont été retenues, sauf les écoles d’architecture. Pour les universités, Greenpeace n’a retenu que les 20 premières du classement de Shanghai (c’est-à-dire les universités les plus actives et dynamiques en termes de recherche selon ce classement mondial). L’Université de Pau et de Versailles ont également été ajoutées car, même si ces deux dernières universités ne sont pas dans les 20 premières du classement de Shangaï, nous savions que TotalEnergies y était très présente. Il nous paraissait donc intéressant de les rajouter dans le cadre de cette enquête.

(1) https://ist.blogs.inrae.fr/sciencesparticipatives/wp-content/uploads/sites/22/2020/01/Sciences-et-soci%C3%A9t%C3%A9-les-conditions-du-dialogue_490025.pdf
(2) https://www.e4c.ip-paris.fr/#/fr/
(3) https://presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2020/07/captage-stockage-geologique-co2_csc_avis-technique_2020.pdf
(4) Greenpeace France a détaillé ce soft power dans la série documentaire ‘L’Emprise Total’