[Nucléaire] L’opacité de la France sur le trafic d’uranium cautionnée par la justice ?

Ce matin se tenait au tribunal administratif de Paris une audience opposant d’un côté le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et le ministère de la Transition énergétique, absents à l’audience, et de l’autre Greenpeace France. L’association sollicite depuis novembre 2021 la communication d’informations relatives à l’uranium de retraitement (URT) exporté vers la Russie, que le gouvernement refuse de partager. Ayant prétexté dans un premier temps que ces informations n’existaient pas, il invoque désormais le risque d’atteinte à la politique extérieure de la France. 

Le Rapporteur public a proposé aujourd’hui au tribunal de sanctionner le silence de l’administration, sans pour autant l’inviter à enjoindre au gouvernement de communiquer ces informations. Or, invoquer le secret sans le justifier constitue une méconnaissance du droit d’accès aux informations environnementales. 

Greenpeace France attend du tribunal administratif de Paris qu’il exige du gouvernement la communication des informations demandées. Dans le cas contraire, l’association formera un pourvoi devant le Conseil d’État et, le cas échéant, saisira une juridiction européenne.

“Le Rapporteur public s’est arrêté à mi-chemin dans son avis en proposant de sanctionner le silence de l’administration au sujet de l’uranium de retraitement, sans enjoindre aux ministères de communiquer ces informations. Et cela alors même qu’il ne dispose d’aucune précision sur le secret des relations politiques extérieures de la France avancé par le gouvernement pour se soustraire à cette demande ! Cette décision est tout simplement incompréhensible et contraire à la loi”, déclare Pauline Boyer, chargée de campagne Nucléaire à Greenpeace France

“L’interprétation du Rapporteur public va à l’encontre du droit européen, car l’administration est censée mettre en balance les intérêts de la communication et ceux du secret. Opposer en quelques lignes le secret ne remplit pas cette obligation, et les informations demandées relatives à l’exportation de matières dangereuses en Russie n’ont aucun lien avec la guerre en Ukraine. En l’état, le refus de répondre à cette sollicitation sous prétexte de secret géopolitique est inacceptable ! L’attitude dont fait montre l’État en violant le droit d’accès des citoyens et citoyennes aux informations est malheureusement très récurrente en matière environnementale, et témoigne de l’état dégradé de notre démocratie sur des questions écologiques qui dérangent le gouvernement”, ajoute Laura Monnier, responsable juridique à Greenpeace France.

Ce refus du gouvernement témoigne une nouvelle fois de l’opacité entretenue par la France concernant la dépendance de la filière nucléaire à la Russie. À la différence de la France, l’Allemagne rend publiques les informations sur l’exportation, depuis son territoire, de  matières nucléaires, y compris, d’ailleurs, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Autre preuve d’opacité concernant le parcours de l’uranium : le gouvernement ne respecte pas son obligation de présenter au Parlement un rapport annuel sur la protection et le contrôle des matières nucléaires. Malgré cette exigence pourtant inscrite dans la loi, le Parlement n’a jamais vu la couleur d’un tel rapport. 

 

Note aux rédaction

  • Greenpeace France sollicite depuis le 10 novembre 2021 la communication des informations concernant la destination, les conditions de stockage, de transport, de suivi et de contrôle de l’URT exporté en Russie, ainsi que concernant ses conditions de réutilisation. Le gouvernement refusant d’apporter toute réponse à l’association, cette dernière a été contrainte de saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), devant laquelle les ministères ont refusé de répondre, puis le tribunal administratif de Paris. 
  • Comme le prévoit le code de la défense, l’importation et l’exportation de matières nucléaires, ainsi que l’élaboration, la détention, le transfert, l’utilisation et le transport de ces matières, doivent faire l’objet d’un contrôle exercé par le ministre de l’Énergie. Ce contrôle a pour objet de permettre à l’État français de connaître, en permanence, la localisation et l’emploi de ces matières, ainsi que leurs conditions de détention, de conservation, de suivi physique et comptable, et de protection. 
  • Après avoir soutenu qu’“aucune disposition législative ou réglementaire n’habilite[rait] le ministre chargé de l’énergie à contrôler l’utilisation faite de l’URT exporté, les modalités de stockage de ce matériau, ou les conditions de sécurité des installations russes”, la défense surprenante des ministères consiste désormais à opposer de manière générique, sans aucune justification, le caractère inexistant de ces informations ou le fait que leur divulgation porterait atteinte aux relations politiques extérieures de la France du fait de la guerre en Ukraine.