EPR de Flamanville : encore du combustible… pour rien

EDF a obtenu début octobre 2020 l’autorisation d’acheminer du combustible neuf sur le site du réacteur nucléaire EPR de Flamanville. Un premier camion est parti lundi 26 octobre de Romans-sur-Isère, dans la Drôme, à destination du site nucléaire toujours en chantier, dans la Manche. Ces convois routiers nucléaires sont censés se poursuivre en 2021. C’était de nouveau le cas le 1er février. Comme si l’EPR était prêt à démarrer. C’est pourtant loin, très loin d’être le cas. Pourquoi un tel empressement, alors que l’EPR cumule les retards ? EDF adopte une fois de plus la stratégie du fait accompli, en dépit du bon sens.

Du combustible livré à un réacteur EPR à l’avenir très incertain

Pendant quatre mois, EDF compte mettre sur les routes deux camions par semaine, chargés de combustible nucléaire. Comme celui qui a traversé la France lundi 26 octobre 2020, ils partiront de Romans-sur-Isère (où est fabriqué le combustible nucléaire, dans l’usine Framatome) et traverseront la France du Sud-Est jusqu’au Nord-Ouest, pour finir leur route à Flamanville, dans la Manche, sur le site du réacteur à eau pressurisée de 3e génération, l’EPR, encore en chantier.

Une telle précipitation a de quoi surprendre, alors qu’à ce jour nul n’est capable de dire à quelle date l’EPR de Flamanville démarrera… ni même s’il pourra véritablement démarrer un jour. La Cour des comptes le rappelle dans un rapport récent, publié le 9 juillet 2020 : « EDF n’a toujours pas achevé le chantier de la construction de Flamanville 3, décidé en 2004, commencé en 2007 et dont la date de mise en service (mi-2023 selon les dernières annonces de l’exploitant) et le coût de construction (12,4 Md€2015) restent prévisionnels ».

Le décret d’autorisation de création (DAC) de l’EPR de Flamanville n’était d’ailleurs initialement valable que jusqu’en 2017… Prorogé une première fois pour une durée de 3 ans par le Premier ministre et la Ministre de l’environnement de l’époque, Bernard Cazeneuve et Ségolène Royal, il a de nouveau était prorogé pour quatre ans supplémentaires, en catimini, pendant le confinement en mars 2020, par le gouvernement d’Edouard Philippe, sans aucune nouvelle procédure de consultation publique. Officiellement, donc, le réacteur a jusqu’à 2024 pour démarrer.

Dans tous les cas, le chargement du combustible dans la cuve du réacteur reste soumis à l’autorisation de l’ASN. Et cette autorisation devra faire l’objet d’une consultation préalable du public…

La veille de la livraison prévue du combustible nucléaire vers l’EPR de Flamanville, des citoyens et citoyennes ont dénoncé le grand bluff d’EDF devant l’usine Framatome de Romans-sur-Isère, le 25 octobre 2020. Photo : Greenpeace

La politique du fait accompli : « nucléariser » l’EPR

Quelle urgence y a-t-il à acheminer le combustible nucléaire sur place à Flamanville, sur un site encore en chantier ? Aucune, si ce n’est d’accomplir une action purement symbolique de la part d’EDF qui voudrait faire croire à une mise en service imminente, alors que de nombreux problèmes ne sont toujours pas réglés. EDF, une fois encore, pratique la stratégie du fait accompli : cette livraison du combustible est une façon pour l’entreprise nucléaire d’affirmer que le projet se fera coûte que coûte.

Si le combustible lui-même est faiblement radioactif, l’autorisation de sa livraison va de pair avec celle de l’utilisation de gaz radioactifs pour des tests d’efficacité de dispositifs de filtration, susceptibles d’affecter plus durablement les installations. De fait, le site de l’EPR de Flamanville sera nucléarisé. Avant même d’avoir prouvé sa capacité à fonctionner, EDF en fait donc un déchet nucléaire.

Des militants et militantes dénonçaient déjà l’absurdité et les mensonges des promoteurs de l’EPR, devant le chantier de construction du réacteur EPR de Flamanville, en 2007.
© Greenpeace / Pierre Gleizes

Un boulet de plus sur un chantier de l’EPR déjà plombé

Non seulement il n’y a aucune raison d’acheminer ce combustible à Flamanville en 2020, mais la présence de ces stocks plus de deux ans et demi avant un hypothétique démarrage du réacteur ajoute des contraintes supplémentaires en termes de sûreté et de sécurité.

Aux dires d’EDF, ce combustible neuf sera entreposé dans un bâtiment situé à proximité du réacteur (la piscine de combustible). Bien que faiblement radioactifs, ces conteneurs nécessiteront une surveillance permanente et une vigilance accrue. « La réception et l’entreposage du combustible neuf présentent des risques de dispersion de substances radioactives en cas de chute d’un assemblage lors de sa manutention », rappelle d’ailleurs l’ASN dans une note d’information. Certes, le gendarme du nucléaire estime « que les dispositions prises par EDF pour prévenir ce scénario accidentel et limiter ses conséquences sont satisfaisantes », mais on se demande encore une fois où est l’urgence, quand EDF semble déjà peiner à assurer la sécurité sur le site.

En 2018, EDF avait constaté l’effraction des armoires contenant les matériels informatiques du système contrôle-commande (le centre névralgique du réacteur) et la disparition mystérieuse de 150 cadenas… EDF a depuis relevé le niveau de sécurité de « chantier » à « site en fonctionnement », créant au passage une situation rocambolesque en 2019. Depuis, l’électricien assure avoir amélioré ses procédures et contrôle de sécurité, mais le nombre de sous-traitants présents sur le site complique considérablement la tâche.

Partis de Cherbourg, les activistes du Rainbow Warrior, navire de la flotte de Greenpeace, protestent pour dénoncer la pollution liées aux déchets nucléaires de l’usine d’Orano à la Hague et le fiasco du projet de centrale nucléaire à Flamanville, le 16 août 2019. © Delphine Ghosarossian / Greenpeace

L’EPR de Flamanville démarrera-t-il un jour ?

Avant même de faire livrer le combustible à Flamanville, c’est bien cette question fondamentale qui se pose : l’EPR sera-t-il capable de démarrer un jour dans des conditions de sûreté, de sécurité et de rentabilité satisfaisantes ? Jusque-là, les faits permettent véritablement d’en douter.

L’EPR, ce projet déjà vieux

Certes, l’EPR de Flamanville est censé être une « tête de série » (avec l’EPR finlandais). Est-ce pour autant normal d’avoir accumulé autant de défaillances et de retard ? Non, nous dit la Cour des comptes, au regard des précédentes constructions de tête de série. Seul le réacteur B1 de Chooz avait fait pire…

Durée de construction des têtes de série de réacteurs nucléaire en France (en mois). Source : Cour des comptes, 2020

Une électricité plus chère et non rentable

Avant même d’avoir démarré, l’EPR s’avère être très peu rentable… voire pas du tout concurrentiel par rapport à d’autres modes de production. EDF s’apprête donc à livrer du combustible pour un réacteur qui est déjà dépassé d’un point de vue économique :

Une liste à rallonge d’anomalies

Les anomalies de l’EPR de Flamanville constituent un véritable catalogue de ce qu’il ne faut pas faire :

Voir à ce sujet le dossier sur le fiasco de l’EPR réalisé par le réseau Sortir du nucléaire.

Evolution du coût de construction de l’EPR de Flamanville entre 2006 et 2019, en milliards d’euros. Source : Cour des comptes, 2020

Un budget explosé

Et ailleurs, les EPR fonctionnent-ils ?

Rien n’est donc encore joué pour l’avenir de ce réacteur nucléaire, malgré les milliards d’euros déjà engloutis. Ces livraisons de combustible sont une nouvelle illustration de décisions absurdes, prises en dépit du bon sens.

Crédit photo principale : Greenpeace

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