Océans

Antalya : Aurons nous droit à la défaite de l’élémentaire bon sens ?

Ce qu’il y a de rassurant et d’inquiétant à la fois dans les sessions annuelles de l’ICCAT (et cette remarque est valable pour les autres conférences internationales du même type) c’est qu’elles se ressemblent toutes. Durant les trois premiers jours, nous n’avons eu droit qu’à une démonstration de formalisme compassé. Tous les délégués ont longuement pris la parole pour dire combien ils étaient heureux d’être en Turquie, féliciter le Secrétariat Général pour la dernière mise à jour du manuel de procédures… Tout cela était passionnant à un point ! Sur les thonidés, les espadons et les quelques espèces de requins dont s’occupe l’ICCAT, pas un mot ! Toutefois, ce rituel d’observation et de retrouvailles entre délégués, permet de tester les adversaires supposés ou réels, d’imprimer l’ambiance, de laisser paraître des alliances possibles et en bout de chaîne d’orienter les débats.

Lundi, on entrait enfin dans le vif du sujet. La Turquie attaquait bille en tête en officialisant sa demande de réintroduction du thon rouge à l’ordre du jour et présentait la ligne directrice de la révision du plan de gestion qu’elle entendait voir mise en œuvre. Au menu de la proposition turque figurent notamment l’alignement du TAC (Total Autorisé de Captures) sur l’avis des scientifiques, la réduction de la période de pêche (qui fermerait le 15 juin et non plus le 30) et la suppression des dérogations sur le poids minimal de capture (30 kg pour tous, quel que soit la technique de pêche). Rien à dire sur la première demande ; en revanche la seconde est dérisoire dans la mesure où la pêche resterait possible pendant le pic de reproduction (entre le 15 mai et le 15 juin). Sur la troisième, il y a fort à parier que la délégation turque obtiendra l’unanité à l’exception des canneurs basques et des chalutiers croates qui bénéficiaient de dérogations à 8 kg et 6,4 kg.

Le « chairman » de l’ICCAT, Bill Hogarth (qui est aussi chef de la délégation américaine) a quelque peu « plombé l’ambiance » en assénant quelque vérités bien senties : L’heure n’est plus aux ajustements techniques ni aux mesurettes mais aux décisions fortes ; les résultats de ces deux dernières années en termes de préservation de la ressource sont extrêmement décevants pour ne pas dire inexistants. Il a demandé aux délégués de toujours garder cela en tête au fur et à mesure que l’on s’avancera dans la semaine ».

La surprise est venue de la délégation japonaise qui a déclaré tout simplement que si des mesures fortes n’étaient pas adoptées toute cette question de thon rouge finirait en annexe 1 de la CITES (Commission Internationale sur le Commerce des Espèces en Danger) avec à la clé une interdiction de la pêcherie par une organisation à vocation environnementale et non par une conférence de gestion des pêcheries ce qui ferait incontestablement désordre dans le paysage…

Grand moment : Le négociateur européen, John Spencer en pleine repentance : Nous avons beaucoup pêché (à prendre dans toutes les acceptions du terme). On a ainsi vu Spencer dans un numéro de grand jésuite, avouant que l’Europe n’était pas parvenue à tenir ses troupes, qu’elle avait dépassé son quota de 26% et proposant elle-même la sentence à laquelle elle entendait être condamnée : Rembourser le « trop-pêché » sur 3 ans (1 400 Tonnes par an) à partir de 2009 ! Et pourquoi pas 2012 ou 2020 ? À noter qu’une enquête est en cours sur 2 000 tonnes litigieuses pour savoir si bien quelles apparaissent dans le quota européen, elles ont été effectivement pêchées par des bateaux européens ou non. Cela donne une idée de la pagaille qui perdure dans cette pêcherie !

Les États-Unis, le Japon et le Canada ont répliqué (sans toutefois refermer complètement la porte) en proposant soit un remboursement sur trois ans à partir de 2008 soit un remboursement sur DEUX ans à partir de 2009. Bienvenue au royaume du marchandage autour d’une ressource plus que moribonde ! Le Canada a en outre fait remarquer qu’en 2009 on ne disposera (si tout va bien) que des données 2008 ou 2007 et que donc il ne fallait pa différer le remboursement. Sur cette passe d’armes, même si elle a proclamé qu’elle était le seul membre de l’ICCATà avoir avoué ses dépassements (ce qui est désespérément la vérité) l’Europe a perdu un point…

Les Etats-Unis ont rappelé aux congressistes que l’an dernier à Dubrovnik, ils avaient proposé la constitution d’une commission d’enquête pour identifier les auteurs de la surpêche et que cette demande avait été transformée par le vote en auto-amnistie. Un ange est passé dans la salle : Tout le monde se rappelle les grandes envolées de John Spencer expliquant que ce serait très compliqué et que l’ICCAT n’avait pas les moyens, que cela ferait encore de la paperasse… Le Maroc et le Japon ont chaudement applaudi la déclaration américaine.

Mardi : Coup de tonnerre dans l’après-midi. Le chef de la délégation américaine demande officiellement un moratoire de 2 à 3 ans sur la pêcherie du thon rouge. Ils sont soutenus par le Canada, le Mexique, la Norvège et vraisemblablement l’Islande et le Sénégal, sans compter les autres qui sortiront du bois au moment du vote.

Début d’ « embrouille » entre GP et le représentant de l’Espagne dans la délégation européenne. Nous souhaitions le rencontrer mais le Monsieur était si peu désireux de nous parler que nous avons édité une note qui a été diffusée très largement (300 exemplaires). Tant et si bien que le Monsieur nous a contacté, mi dépité, mi en furie, pour discuter. Mais le contexte était différent : toutes les délégations avaient nos chiffres et les commentaient déjà en coulisse…

Mercredi, le délégué japonais a fait monter d’un cran la tension : « Cessons de perdre notre temps à discuter surcapacité d’engraissement et de pêche. Ce qu’il faut c’est un VRAI plan de gestion qui ne se focalise pas sur ces deux paramètres mais qui prenne en compte la situation dans sa globalité.

Au point où nous en sommes, les tenants du status quo sont parvenus à retarder à réduire la question thon à l’évocation entre deux portes et à retarder le moment où on passera aux « questions qui fâchent ». Même s’ils ont réussi, par cette manœuvre, à réduire le temps qui sera consacré au thon rouge, les grandes manœuvres devraient commencer demain ou vendredi.

Mercredi fin d’après midi ; la délégation japonaise prend le micro pour rappeler à quel point elle tient à ce qu’un plan de gestion soit mis sur pied avant le démarrage de la prochaine saison. Retournement du délégué européen sur l’air de : « nous ny avions pas penser mais c’est une excellente idée ! Pour un acteur qui jure publiquement depuis un mois que le plan de Dubrovnik comporte une clause de révision BISANNUELLE et que bisanuelle, cela signifie 2008 et pas avant c’est un bel exercice de souplesse voire de contorsionisme.

Fort de ce soutien inespéré (ou arrangé en coulisses, on ne le saura jamais) le Japon place alors sa proposition : Une grande réunion avec l’ensemble de la filière (pêcheurs, engraisseurs, négociants internationaux et acheteurs) en mars 2008 à Tokyo. L’objectif serait de fixer des règles et de s’accorder sur la manière de s’y tenir.

MAIS C’EST JUSTEMENT LA RAISON D’ËTRE ET LA FONCTION DE L’ICCAT. Ce que propose la délégation japonaise c’est ni plus ni moins de se passer de l’ICCAT, de court-circuiter la décision politique, de se substituer aux instances de gestion, bref de confisquer la destinée du thon rouge au profit de ceux qui l’exploitent et d’en « privatiser » le stock. Cette proposition est innacceptable ; ce n’est pas au tuna business de statuer sur le sort de cette ressources qui constitue un bien commun qui appartient à tout le monde. Dans un communiqué commun, GP et le WWF ont vivement protesté contre cette proposition et mis en garde l’ensemble des acteurs sur son éventuelle adoption. La décision sera prise vendredi ; d’ici là wait and see…