Face à la montée des températures et des inégalités sociales, huit responsables de syndicats et d’associations environnementales, dont Greenpeace, s’allient pour appeler à « répondre à la double urgence climatique et sociale ». Alors que le Forum économique mondial de Davos (Suisse) se tient du 21 au 24 janvier, ils disent rejeter la vision du monde portée par cet événement. Voici leur tribune, initialement publiée sur le site du JDD le 18 janvier 2020.

Climat

Répondons à l’urgence climatique et sociale

Face à la montée des températures et des inégalités sociales, huit responsables de syndicats et d’associations environnementales, dont Greenpeace, s’allient pour appeler à « répondre à la double urgence climatique et sociale ». Alors que le Forum économique mondial de Davos (Suisse) se tient du 21 au 24 janvier, ils disent rejeter la vision du monde portée par cet événement. Voici leur tribune, initialement publiée sur le site du JDD le 18 janvier 2020.

Alors que s’ouvre la 50e édition du Forum économique de Davos, la planète brûle. Et jamais le système économique et financier mondial, inégalitaire et climaticide, symbolisé par ce rassemblement des élites économiques et politiques, n’a été autant remis en question. Scientifiques et économistes sont chaque jour plus nombreux à tirer la sonnette d’alarme. Marches et grèves des jeunes pour le climat, mouvement des Gilets jaunes, manifestations pour défendre nos retraites en France : ces derniers mois, ici comme dans de nombreux pays dans le monde, les mouvements sociaux et environnementaux portent des exigences communes et tentent de construire des projets de société plus égalitaires, démocratiques et fondés sur la justice sociale et la préservation des ressources de notre planète.

En France, les crises sociale et écologique puisent leurs racines dans des décennies de politiques d’affaiblissement des acquis sociaux et des services publics, de soumission à des doctrines économiques productivistes inefficaces et destructrices, de toute-puissance du secteur financier et de cadeaux fiscaux aux multinationales les plus polluantes.

Comment peut-on accepter que le lobbying d’entreprises comme Total permette de contourner la loi avec le soutien du gouvernement et de conserver une niche fiscale pour l’huile de palme alimentant la déforestation à l’autre bout du monde? Comment peut-on accepter que des entreprises comme Amazon échappent à leurs obligations fiscales, imposent des conditions de travail indignes à leurs salariés et détruisent davantage d’emplois qu’elles n’en créent, là encore avec le plein soutien du gouvernement? Comment peut-on accepter que les très riches émettent 40 fois plus de carbone que les plus pauvres, et qu’en plus ces derniers paient, en proportion de leurs revenus, une taxe carbone quatre fois plus chère?

Malgré les forts mouvements de résistance, Emmanuel Macron poursuit la mise en place de réformes néolibérales, sources d’accroissement des inégalités et de destruction des conquêtes sociales qui structurent notre pays, et ne prend aucune mesure ambitieuse pour faire face au changement climatique et la destruction de la biodiversité. C’est pourtant bien la perspective d’un changement de société qui est en jeu. En tant qu’acteurs des mouvements sociaux, écologistes et syndicaux, nous ne pouvons nous résigner à vivre encore des années de reculs sociaux, alimentés par les politiques des gouvernements successifs, et d’inaction face à l’urgence écologique. Face au sentiment grandissant d’exaspération et de crainte pour l’avenir, nous ne pouvons accepter que la seule alternative dans les prochaines années soit des politiques plus autoritaires, discriminantes et xénophobes.

Il n’y aura pas de résolution à la crise d’aujourd’hui avec les solutions d’hier ou le repli sur soi. Nous, acteurs de la société civile, syndicats, associations, ne détenons pas la recette miracle pour inverser cette tendance. Mais nous affirmons ici une volonté de reconstruire des perspectives de transformation radicale de la société, écologique, solidaire et démocratique, fondées sur l’accès aux droits pour toutes et tous et le rejet de toute discrimination de genre, d’origine, de classe et d’orientation sexuelle. Nous appelons à une véritable transition énergétique, agricole et industrielle, c’est-à-dire une transformation profonde des façons de produire et de consommer qu’imposent les crises écologique et climatique. Nous aspirons à un meilleur partage des richesses passant par une vraie justice fiscale, l’élargissement des droits sociaux, la fin de la toute-puissance des marchés financiers et de l’influence des multinationales sur le politique. En somme, l’opposé de ce qui attire à Davos une élite économique et politique qui cherche avant tout à préserver ses privilèges et ses intérêts au détriment de conditions dignes de vie pour l’immense majorité.

C’est dans cette perspective que nous appelons dans les prochains mois à débattre et bâtir un projet émancipateur du 21ème siècle.

Ce projet ne saurait irriguer la société s’il ne parle pas aussi aux personnes les plus concernées, les plus précaires, celles qui subissent le plus durement la violence du système néolibéral actuel et de toutes ses retombées. Ce projet doit être relié à notre quotidien, à ce qui se vit au travail, dans les difficultés d’accès aux services publics comme la santé, l’éducation, le logement, les transports… Il doit s’ancrer dans des expériences et des luttes collectives déjà menées ou en cours, être débattu dans tous les cercles, en premier lieu les entreprises qui doivent évoluer pour faire face aux enjeux de demain. Il doit montrer concrètement comment, par des politiques nationales et locales alternatives, soutenant d’autres régulations internationales, d’autres formes d’entreprises, d’autres formes de gestion des communs, nous pouvons cesser de subir l’injustice sociale et la catastrophe écologique. Parce qu’il n’y aura pas d’emplois sur une planète morte, il doit montrer comment l’industrie, les services, l’agriculture doivent, elles aussi, se soucier de protéger les ressources offertes par la nature.

C’est à ce chantier immense que nous voulons nous attaquer dans les mois à venir, en même temps que nous voulons barrer la route, collectivement, aux projets du gouvernement qui s’y opposent : de la casse du système de retraites et de l’assurance chômage à la fermeture des lignes de fret ferroviaire, des privatisations en cascade aux signatures d’accords de libre-échange climaticides…

Notre initiative n’est pas une fin mais bien le début d’un processus ouvert à tous les acteurs qui comprennent que notre système est à bout de souffle. Il doit nous amener à réfléchir ensemble et à produire, à partir de situations réelles, ancrées dans le quotidien du plus grand nombre, des propositions concrètes pour répondre à la double urgence climatique et sociale. Et ainsi montrer à nos concitoyens qu’une autre vision du monde que celle des élites de Davos existe. »

 

Les signataires de la tribune :
Jean-François Julliard
, directeur général de Greenpeace France ; Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT ; Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France ; Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre ; Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne ; Cécile Gondard-Lalanne, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires ; Benoit Teste, secrétaire général de la FSU.

Texte publié initialement sur site du JDD.