Bois illégal : 10 ans après la réglementation, où en est-on ?

Le trafic illégal, un fléau majeur pour les forêts

L’exploitation forestière illégale représente entre 15 et 30 % du bois commercialisé dans le monde pour une somme estimée entre 51 et 152 milliards de dollars par an. C’est un phénomène majeur qui menace nombre d’écosystèmes, notamment les forêts tropicales primaires qui sont de véritables trésors de biodiversité. La coupe illégale de bois est en effet souvent la première étape d’un système de déforestation plus global. C’est flagrant en Amazonie, où la coupe de quelques arbres précieux aboutit in fine à la destruction de parcelles entières de forêts qui sont converties pour l’élevage industriel selon ce schéma :

  1. Des essences d’arbres précieuses à haute valeur commerciale – en Amazonie, souvent des Ipés – sont localisées sur une parcelle de forêt vierge.
  2. Des routes sont tracées pour accéder à la ressource en bois.
  3. La ressource en bois est prélevée puis acheminée jusqu’à des lieux de transformation et de commercialisation.
  4. Des exploitants agricoles profitent des routes tracées pour accéder à la forêt et mettre le feu à des parcelles entières.
  5. Les exploitants agricoles installent ensuite des pâturages sur les lieux brûlés.

Ce schéma de destruction aboutit à une déforestation « en peigne » le long des routes : il s’observe nettement grâce aux images satellites.

Entrée en vigueur du règlement européen contre le bois illégal en 2013

La coupe illégale de bois est donc un fléau contre lequel il est impératif de lutter urgemment. C’est pour cette raison que l’Union européenne a adopté un règlement entré en vigueur en 2013 visant à interdire l’importation en Europe de bois coupé illégalement. Ce règlement impose donc une obligation de résultats (plus aucun bois coupé illégalement ne doit être commercialisé dans l’UE), mais aussi une obligation de moyens. Selon ce règlement, les entreprises important du bois dans l’UE doivent en effet mettre en place un système de “diligence raisonnée”. Ce système est constitué d’un ensemble de mesures de gestion des risques qui permettent à l’entreprise de s’assurer qu’elle ne place pas de bois coupé illégalement sur le marché de l’UE.

Face au trafic illégal de bois, la très lacunaire action européenne

Ce règlement sur le bois illégal a été critiqué dès son adoption en raison de ses nombreuses lacunes : il n’a en effet imposé aucune mesure concrète aux entreprises hormis une obligation très minimaliste de traçabilité et n’a fixé aucun nombre annuel de contrôles à réaliser par les États membres. Dès les premières années suivant son entrée en vigueur, il est apparu clairement que les États membres ne souhaitaient consacrer que des moyens très limités – voire inexistants – à sa bonne application, et la France ne fit pas exception.

Résultat : dans le bilan du règlement qu’elle tirait en 2021, la Commission européenne évoque une application « inégale » du règlement au sein de l’Union et indique qu’il « n’a pas eu d’effet notable sur le volume des importations de bois provenant de sources connues pour présenter un risque élevé  ». Elle précise que « Le règlement sur le bois pourrait avoir entraîné une réduction des importations dans l’Union de bois issu d’une récolte illégale comprise entre 12 et 29 %. »

Un constat implacable, qui affiche des résultats bien loin de l’objectif initial d’un arrêt total du commerce de bois illégal sur le sol européen.

Deux procès historiques intentés par Greenpeace qui mettent le secteur du bois face à ses responsabilités

Greenpeace, grâce à son réseau international, a démontré à plusieurs reprises que le commerce de bois illégal perdurait dans l’Union européenne, malgré l’entrée en vigueur de ce règlement. 

Ainsi, nos multiples enquêtes ont entre autres abouti à la publication en 2018 d’un rapport faisant état d’importations illégales de bois en Europe par plusieurs entreprises, dont ISB France et la société Pierre Robert. 

Au vu de l’importance des manquements constatés par nos équipes, Greenpeace a déposé plainte en 2019 contre ces deux entreprises suspectées d’avoir illégalement importé du bois sur le territoire français. Les deux plaintes ont abouti aux premiers procès en France en juin 2023 pour infraction au règlement sur le bois illégal, dix ans après son entrée en vigueur. 

Concrètement, nous reprochons aux entreprises ISB France et à la société Pierre Robert de n’avoir pas respecté l’obligation de diligence raisonnée qui leur incombait alors qu’elles importaient du bois issu de l’État du Pará au Brésil, une zone à fort risque de déforestation illégale. Ces deux entreprises n’ont, de toute évidence, ni correctement évalué ni correctement réduit les risques d’importation de bois illégal et ont effectivement commercialisé en France du bois illégalement coupé dans l’État du Pará. 

Un travail qui a été payant puisqu’en septembre 2023, le tribunal correctionnel de Châteauroux a condamné l’entreprise Pierre ROBERT pour délit de mise sur le marché illégale de bois importé. Une semaine plus tard, le tribunal correctionnel de Rennes condamne également l’entreprise ISB France pour le même délit. Ces décisions de justice sont historiques puisqu’aucune entreprise n’avait été condamnée pour ces faits jusqu’alors.  

Ces deux affaires sont le résultat d’un travail de longue haleine et sont hautement symboliques à plusieurs niveaux. Elles révèlent non seulement les manquements des entreprises poursuivies, mais aussi la mise en application lacunaire du règlement par les autorités françaises. 

En France, l’application du règlement européen n’a, jusqu’à présent, absolument pas été dissuasive et aucune sanction administrative pour manquement n’a été prononcée sur le territoire français depuis l’entrée en vigueur du règlement il y a dix ans. Plusieurs entreprises comme ISB ou la société Pierre Robert ont ainsi pu importer en toute impunité du bois susceptible de contrevenir à ce règlement. 

Ces deux condamnations sont un message fort adressé à l’industrie du bois : elles marquent la fin de l’impunité pour les entreprises faisant commerce du bois et de ses produits dérivés. Par ailleurs, ces affaires doivent aussi servir de leçon pour l’application du règlement sur la déforestation qui entrera pleinement en vigueur en décembre 2024.

Face au trafic de bois illégal, l’État français doit agir et faire appliquer le règlement scrupuleusement

Ces affaires mettent en lumière le manque de volonté de l’État français, hautement coupable, dans la lutte contre le trafic de bois illégal et en premier lieu du ministère de l’Agriculture chargé de faire appliquer ce règlement. 

Grâce à notre travail de recherche et aux enquêtes judiciaires liées à ces deux affaires, nous avons eu la confirmation que les autorités françaises ont déployé des moyens minimes pour faire respecter ce règlement qui s’attaque pourtant à un sujet environnemental de premier plan. En 2017, seuls 170 contrôles avaient été effectués et en 2018, seulement six emplois à temps plein avaient été mis en place pour contrôler les 19 000 entreprises susceptibles d’être concernées par ce règlement. Une mission de 2015 pilotée par les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie visant à évaluer le “Dispositif de contrôle de l’application du règlement bois de l’Union européenne” recommandait dans son rapport de diminuer les moyens alloués à l’application du règlement en “recherchant une organisation mobilisant un nombre d’agents beaucoup plus restreint”, alors même que la faiblesse des moyens mis en oeuvre était indiscutable. 

En plus de la faiblesse des moyens alloués à l’application de règlement, nous avons constaté de profondes incohérences dans les rares rapports de contrôle que nous avons pu consulter. Dans beaucoup de cas, l’inspection signale un défaut de traçabilité sans conclure pour autant au non-respect de la réglementation. C’est ainsi que les activités des sociétés ISB France et Pierre Robert, que nous poursuivons en justice, ont été déclarées conformes au règlement européen malgré l’évidence des manquements émaillant leurs activités. 

L’État fait par ailleurs preuve d’une opacité totale et entrave les travaux de recherche qui sont faits par la société civile sur le sujet. Le ministère de l’Agriculture n’a jamais communiqué de bilan de l’application de ce règlement et n’a publié aucune information suite aux contrôles effectués dans le cadre de celui-ci. Aucun rapport de contrôle, aucune éventuelle mise en demeure n’a été rendue publique. Avec France Nature Environnement, nous avons sollicité en 2021 la communication par le ministère de l’Agriculture d’informations sur les contrôles ayant eu lieu entre 2017 et 2020. La Commission d’accès aux documents administratifs a émis un avis favorable à ces demandes. Malgré cet avis, le ministère refuse toujours de nous répondre et nous avons donc dû saisir le Tribunal administratif de Paris en décembre 2022.

Tirer les leçons de la législation sur le bois illégal pour un règlement européen sur la déforestation efficace

Le règlement sur lequel se fondent nos deux plaintes sera abrogé par un nouveau règlement plus ambitieux – mais perfectible – visant à interdire la commercialisation dans l’Union européenne de tout produit issu de la déforestation. Suite aux leçons tirées du règlement sur le bois illégal, cette nouvelle législation, qui couvre entre autres la commercialisation du bois dans l’UE, fixe un nombre minimum de contrôles à effectuer annuellement et impose à chaque État de nommer des autorités « fonctionnellement indépendantes » qui auront « les ressources nécessaires pour répondre aux obligations fixées par la réglementation » (article 14). Les premiers contrôles pourront avoir lieu à partir du 30 décembre 2024. 

Tous les États membres se doivent de faire appliquer scrupuleusement ce nouveau règlement qui s’attaque au sujet de la déforestation. Ce fléau, aujourd’hui responsable d’au moins 12 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, est associé à d’innombrables violations des droits humains et met en péril la biodiversité terrestre. La France doit oeuvrer dès à présent à la bonne mise en oeuvre de ce nouveau règlement et :

Au-delà de faire appliquer stricto sensus ce règlement, elle doit également soutenir des révisions ambitieuses de celui-ci afin qu’il couvre, à terme, d’autres écosystèmes et d’autres commodités et étende son champ d’application au secteur financier. 

Pour en savoir plus :