Pour un confinement serein : la communication non violente

C’est quoi, la communication non violente ?

Nathalie Achard : La communication non violente (CNV) a été élaborée par Marshall Rosenberg dès les années 1970 ; il s’est lui-même inspiré du psychologue nord-américain, Carl Rogers. La CNV, c’est une posture de communication qui a pour but de nourrir les besoins fondamentaux des personnes de façon équivalente et harmonieuse.

Les besoins fondamentaux sont ceux que nous avons en commun. Ils regroupent à la fois les besoins physiologiques de toute personne (manger, boire, dormir…) mais aussi les besoins de sécurité, d’appartenance et d’estime, qui mènent à l’accomplissement de soi.

La CNV est donc une posture bienveillante, qui est au service d’un changement des relations et, au-delà, d’un changement de société : il s’agit de ne plus agir par peur des sanctions, par intérêt ou par culpabilité, mais avec l’intention de comprendre mes besoins et ceux de l’autre.

Les 4 étapes du processus de la CNV. (source)

À qui ça s’adresse ?

Je crois que nous avons toutes et tous la capacité d’adopter la CNV, à condition de prendre le temps d’identifier ses propres besoins. La bienveillance, la recherche de connexion avec l’autre sont des qualités naturelles que chacun·e peut cultiver. Ce n’est pas toujours simple parce que nous avons souvent une lecture binaire du monde : le bien et le mal, le vrai et le faux, la comparaison et la compétition sont des croyances qui bercent notre récit collectif. Mais je crois que tout le monde possède déjà les compétences nécessaires à la CNV, c’est ce qui la rend accessible et très puissante.

Peut-on utiliser la CNV si la personne face à soi reste dans un schéma de communication binaire ?

Il ne s’agit pas de juger l’autre, mais de l’accueillir, avec ses croyances et ses émotions. Cette situation ne nous empêche pas de communiquer de façon non violente. Je n’attends pas de l’autre qu’il se mette en posture collaborative, mais je peux décider de rester hors d’un schéma confrontatif binaire, rester à l’écoute de l’autre et de moi. La CNV change la donne, même face à une personne qui ne partage pas cette posture.

En pleine crise sanitaire liée au Coronavirus, beaucoup de personnes sont confinées chez elles, avec des enfants, des conjoint·es. Cette situation peut rapidement dégénérer, comment la CNV peut aider à désamorcer les conflits et à communiquer sereinement ?

Ce virus nous fait redécouvrir tant de choses : l’impermanence, l’illusion de la toute-puissance de l’être humain sur la nature, et l’interdépendance qui nous caractérise. C’est justement parce nous sommes interdépendants que ce virus a provoqué une pandémie, et c’est grâce à ça aussi que nous pouvons survivre.

En ce temps de confinement se confrontent deux besoins très différents : être dans le collectif, partager, et avoir de l’espace, de l’intériorité. Les contraintes auxquelles nous faisons face sont donc difficiles à gérer. Les sources de frustration dans sa relation à l’autre ne viennent pas d’apparaître, elles ne sont que soulignées par cette proximité contrainte. Souvent, je préfère fuir le conflit, par croyance que désaccord signifie désamour. Par peur donc, je vais souvent préférer mettre de côté les désaccords et poursuivre mon chemin. Mais c’est une stratégie de court-terme car arrive un moment où le confinement exacerbe les ressentiments, et le conflit explose de la pire façon qui soit. Pour éviter ça, le courage d’accepter sa vérité et celle de l’autre, et de comprendre que le conflit peut être constructif sont de solides alliés. Si je sens que la situation s’envenime quand même, je peux essayer de prendre du recul et faire un pas de côté, et rester vigilant·e à faire baisser la tension : choisir mes mots plutôt que de hausser la voix, formuler des demandes plutôt que des reproches, et rester à l’écoute de l’autre.

Certaines personnes vivent seules, et n’ont de contacts que très rarement avec d’autres en ce moment, ce qui peut générer beaucoup d’émotions. Est-ce que la CNV peut les aider à gérer la situation ?

Bien sûr, puisque la posture CNV s’adresse d’abord à soi : elle implique de se reconnecter avec ses états émotionnels, ses besoins fondamentaux et de prendre du recul sur ses croyances. C’est tout à fait compréhensible d’être anxieux·se, de se sentir sous pression ou vulnérable par exemple. Il s’agit de réapprendre à accueillir pleinement ces états émotionnels qui nous traversent. On a généralement plus de temps pour s’en occuper maintenant !

Chez Greenpeace, comme tu le sais, la non violence est une valeur cardinale qui régit tous nos projets. Des activistes participent parfois à des actions non violentes. En quoi la CNV peut-elle les aider ?

Mon parcours dans différentes ONG m’a permis de constater qu’on nourrissait sans s’en rendre compte beaucoup d’images d’un ennemi. Je crois qu’il serait profitable d’apaiser cette croyance, de nettoyer le plus possible l’impression de la personne qui porte atteinte à notre intégrité. Travailler cette posture, c’est se rappeler qu’en tant qu’humain, nous agissons pour combler des besoins. Et nous avons souvent les mêmes besoins que l’autre, mais des stratégies diamétralement opposées pour les satisfaire. En me rappelant ça, je donne plus d’espace pour comprendre l’autre et trouver ensemble des solutions.

Quelles méthodes mettre en place pour infuser la CNV dans un collectif ?

Dans un collectif, il faut déjà poser l’intention de faciliter l’intelligence collective. Se mettre en posture de CNV irrigue la façon d’être citoyen·ne. L’idée est de vivre la situation d’être « avec », de façon inconditionnelle et convergente. On peut se poser la question : quelle est ma manière d’accueillir l’autre ? Comment sortir de ce paradigme qui veut que j’ai raison et que l’autre a tort ? On peut inviter le groupe à prendre du recul sur ses croyances individuelles et collectives. En posant ces questions ouvertement, on offre l’occasion au collectif d’inventer ses propres méthodes pour faciliter la communication. Et plus tard, si la situation se tend, on n’empêche pas le conflit d’éclater, au contraire, car il est important. Mais c’est en écoutant consciencieusement que l’on peut le voir venir, le désamorcer ou le gérer plus sereinement.

Nathalie Achard a travaillé à la communication de plusieurs associations (Greenpeace, SOSMÉDITERRANÉE et le mouvement des Colibris). Elle organise aujourd’hui des formations à la non-violence. Elle anime également des ateliers de responsabilisation et de restauration du dialogue à destination des personnes incarcérées.

Encore des questions ? Nous avons échangé avec Nathalie Achard lors d’une vidéo en direct. Voici la retransmission.

 

Pour aller plus loin

La Communication NonViolente à l’usage de ceux qui veulent changer le monde, Nathalie Achard, éd. Marabout, 2020

Le blog Mediapart de Nathalie Achard

Une liste des besoins fondamentaux

La non-violence chez Greenpeace