Lettre ouverte au 1er ministre. Projet de loi climat et résilience – Répondre aux enjeux climatiques et sanitaires de notre siècle tout en assurant à toutes et tous la liberté de choisir son alimentation

Le 25 mars 2021, la Confédération Syndicale des Familles, la FCPE, Greenpeace France, le Mouvement National des Lycéens, le Réseau Action Climat, Résilience France et Youth For Climate ont envoyé une lettre au Premier ministre, Jean Castex.

 

 

Monsieur le Premier ministre
Copie : Madame la Ministre de la Transition écologique et sociale
Copie : Monsieur le Ministre de l’Agriculture et de l’alimentation

À Paris, le 25 mars 2021,

Objet : PJL Climat et résilience – Répondre aux enjeux climatiques et sanitaires de notre siècle tout en assurant à toutes et tous la liberté de choisir son alimentation

L’introduction de menus sans viande ni poisson équilibrés est essentielle pour répondre aux enjeux climatiques, sanitaires et de justice sociale de notre siècle. Malheureusement, la mesure présentée par le gouvernement au sein du Projet de loi – une expérimentation volontaire, qui plus est cantonnée au périmètre des collectivités territoriales – n’est pas à la hauteur des attentes de la société française. Aujourd’hui, un tiers des Français se déclarent en effet flexitariens, 12% des jeunes se disent végétariens et 80% des Français sont favorables à l’introduction d’une option obligatoire dans les cantines de la restauration collective. Nos organisations appellent le Premier ministre à arbitrer en faveur de l’extension et de la pérennisation d’EGAlim (menu végétarien hebdomadaire obligatoire pour l’ensemble de la restauration collective) et d’une option végétarienne quotidienne, obligatoire et dans l’ensemble de la restauration collective publique et privée lorsque des options existent déjà plusieurs fois dans le mois.

 

Les débats en commission ont montré qu’il existait deux consensus parmi les députés, quel que soit leur bord politique. Tout d’abord, l’importance d’assurer un libre choix de leur alimentation aux citoyens, ce qui passe par l’introduction d’une option végétarienne quotidienne. Cette option est également une demande du Défenseur des droits[1]. Facultative, la mesure proposée par le gouvernement accroîtrait les inégalités d’accès déjà existantes à ce type de plats entre établissements et entre territoires. Sans elle, des milliers de convives (et d’enfants en particulier) continueront de manger des repas déséquilibrés, faute d’alternatives sans viande ni poisson bien conçues sur le plan nutritionnel.

 

Ensuite, le “moins et mieux de viande” fait aujourd’hui l’unanimité, y compris chez les professionnels des filières viande[2]. D’après Interbev, 60% de la viande aujourd’hui servie dans la restauration collective est importée. Réduire les quantités servies permet de dégager du budget qui peut être réinvesti dans des produits de qualité, et dans de la viande bio et locale en particulier[3].

 

De plus, l’introduction d’une option végétarienne quotidienne obligatoire dans la restauration collective est à la fois une des mesures les plus simples et les plus efficaces du projet de loi pour réduire notre empreinte environnementale. L’étude d’impact du gouvernement elle-même estime à seulement 15% le nombre de repas qui seraient concernés par la mesure actuellement proposée (sous une forme volontaire, pour les collectivités territoriales seulement). Pourtant, d’après nos calculs, si l’option végétarienne quotidienne était rendue obligatoire dans l’ensemble de la restauration collective publique et qu’elle était choisie par 30% des convives, nous pourrions économiser 1,35 million de tonnes équivalent CO2/an. D’ici 2030 (en comptant 9 ans), cela représenterait 12,5 millions tonnes équivalent CO2 économisées. Cela équivaut aux émissions générées par 1,1 millions de Français pendant 1 an, à 12,5 millions d’aller-retours Paris – New York en avion ou encore à 2% des émissions de la France en 2017.

 

Cette option quotidienne constitue également une mesure de santé publique et de justice sociale : notre alimentation est aujourd’hui trop riche en protéines animales et trop pauvre en fruits, légumes, légumineuses. Ceci est particulièrement vrai pour les personnes défavorisées, à tel point que la carence en fibre et la consommation de fruits et légumes frais constituent de véritables marqueurs sociaux. Ces déséquilibres, auxquels s’ajoutent la consommation d’aliments ultra-transformés, sont à l’origine de nombreuses maladies (obésité, maladies cardiovasculaires, cancer, diabète), expliquant la mobilisation de nombreux professionnels de santé pour une alimentation plus végétale[4].

 

D’après nos organisations, il est essentiel et urgent de démocratiser l’égal accès à un repas équilibré pour tous les convives, et en particulier pour les convives dits captifs, comme dans les établissements pénitentiaires, qui n’ont d’autres choix que de consommer ce qui leur est servi. Dans son rapport sur l’expérimentation d’un menu végétarien hebdomadaire, le CGAAER note qu’il serait pertinent de proposer une option végétarienne quotidienne pour tous ceux qui ne mangent pas de viande, quelles qu’en soient les raisons, afin de « favoriser le vivre-ensemble »[5]. De plus, comme l’a rappelé à plusieurs reprises l’Observatoire de la laïcité, l’offre de menus diversifiés, carnés et végétariens, constitue l’approche la plus inclusive et la plus laïque parce qu’elle n’assigne aucun élève à une identité, les raisons de ne pas manger de viande étant multiples.

 

Enfin, nous pensons qu’il est du devoir de l’État d’être à la fois exemplaire en la matière, et respectueux du droit et de la liberté de conscience de ses usagers. En effet, deux tiers des repas servis dans les cantines le sont dans des structures qui dépendent de sa gestion (collèges, lycées, hôpitaux, armées, restaurants universitaires, prisons, etc.), et une grande partie d’entre eux concernent des publics dits captifs[6].

 

Pour toutes ces raisons, nos organisations demandent la mise en place d’une option végétarienne quotidienne dans toutes les cantines. Cela peut se faire dans un premier temps, en 2023, dans les structures de plus de 200 couverts proposant déjà un double choix plusieurs fois par mois, y compris sous la forme d’une expérimentation pour les cantines servant des menus uniques.

 

En vous remerciant par avance pour l’attention que vous porterez à ce courrier, nous vous prions, Monsieur le Premier Ministre, d’agréer nos respectueux hommages et l’expression de notre haute considération. 

 

Signataires :

Rodrigo Arenas et Carla Dugault, co-présidents de la FCPE
Jean-François Julliard, Directeur général de Greenpeace France
Morgan Créach, Directrice du Réseau Action Climat
Antonin Nouvian, Secrétaire général du Mouvement National des Lycéens
Elsa Cohen, secrétaire générale adjointe, Confédération syndicale des familles
Romaric Thurel, porte-parole de Résilience France
Mathis Grossnickel, responsable de campagne Youth for climate

 

Soutiens à la pérennisation et extension d’EGAlim (menu végétarien hebdomadaire) et à l’instauration de l’option végétarienne quotidienne obligatoire dans l’ensemble des cantines de la restauration collective publique et privée dès lors qu’elles proposent différents choix plusieurs fois par mois

Réseau Environnement Santé,
Jeunes médecins
WWF
CIWF France
Cantines sans plastiques France
Convergence Animaux Politique
Alofa Tuvalu

 


 

[1] : Il préconise en effet une « généralisation du repas végétarien de substitution » (recommandation n°6). Défenseur des droits, « Un droit à la cantine scolaire pour tous les enfants » (Juin 2019)

[2] : Le 2 mars dernier, le Président d’Interbev (qui prône historiquement le moins et mieux) a ainsi adressé une lettre ouverte aux associations environnementales, déclarant qu’il partageait les mêmes ambitions : “manger de faibles quantités de viande à la cantine… mais uniquement de la viande d’origine française”.

[3] :  L’enquête annuelle de l’Observatoire national de la restauration collective bio et durable, qui porte sur un échantillon de 6000 communes très engagées dans le bio, montre que plus les cantines servent des menus végétariens, plus la part de viande bio et locale est importante. Observatoire de la restauration collective bio et durable, Enquête A table! Résultats de l’enquête 2020.

[4] : Voir la récente tribune de 100 professionnels de santé « La végétalisation de notre alimentation constitue une réponse aux enjeux climatiques et de santé publique », parue dans Le Monde, le 14 mars 2021 ; voir également le rapport de la commission EAT-Lancet sur le “régime de santé planétaire” auquel Le Monde a consacré l’article : « Un steak par semaine, des fruits et des protéines végétales : la recette du « régime de santé planétaire » » (parue le 17 janvier 2019)

[5] : Dans son guide à destination des collectivités locales, paru en 2015, l’Observatoire de la laïcité recommande “que les cantines scolaires proposent une diversité de menus, avec et sans viande”

[6] : Une circulaire de 2006 (n°2006-90) relative aux droits des personnes hospitalisées comporte d’ailleurs une charte de la personne hospitalisée indiquant que les établissements de santé doivent respecter les croyances et convictions des personnes accueillies, y compris en matière d’alimentation.