En pleine invasion globale russe de l’Ukraine, la France reprend les exportations d’uranium de retraitement vers la Russie
Greenpeace France a observé samedi 15 novembre 2025 à Dunkerque le chargement d’au moins une dizaine de containers d’uranium de retraitement (URT), à bord du cargo Mikhail Dudin à destination de la Russie. Ironie de l’agenda, Volodymyr Zelensky est reçu aujourd’hui à l’Elysée : la France assumera-t-elle son commerce nucléaire avec la Russie face au président ukrainien ?
Cette exportation d’uranium de retraitement est la première que Greenpeace observe depuis plus de trois ans. Elle est un signe inquiétant de l’intensification du commerce entre l’industrie nucléaire française et l’entreprise d’Etat criminelle Rosatom qui jouit toujours d’une impunité totale malgré son implication dans la guerre en Ukraine.
En 2022, suite aux révélations par Greenpeace France de l’envoi d’URT en Russie juste après le début de l’invasion globale de l’Ukraine, le gouvernement français avait ordonné à EDF de stopper ses exportations d’URT [1].
“Le ‘en même temps’ macroniste atteint des sommets d’hypocrisie. Emmanuel Macron répète qu’il est nécessaire de développer notre indépendance économique, technologique, industrielle et financière, notamment par rapport à la Russie, qualifiée de menace pour la France et pour l’Europe. Alors même qu’il reçoit aujourd’hui Volodymyr Zelensky, la reprise de l’envoi d’URT en Russie est une nouvelle rupture entre les paroles et les actes du Président français. ”, s’indigne Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire pour Greenpeace France.

© Greenpeace
Des photos du cargo et du chargement sont disponibles ici
La France et son industrie nucléaire ignorent honteusement le cap annoncé de la feuille de route REPowerEU qui vise à mettre fin à la dépendance énergétique de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie. Les négociations se sont récemment accélérées sur les sanctions visant le gaz et le pétrole russes, et des sanctions sur le commerce nucléaire de Rosatom sont envisagées.
“La reprise de ce commerce nucléaire avec Rosatom après une pause de plus de 3 ans, alors que l’Ukraine subit de plein fouet les attaques de la Russie, est scandaleuse. L’industrie nucléaire est tellement dépendante de la Russie qu’elle ne peut se détacher d’une industrie aux ordres de Vladimir Poutine, qui occupe depuis plus de trois ans la centrale nucléaire de Zaporijia, et a contribué à la transformer en une arme de guerre, au péril de la sûreté nucléaire”.
Greenpeace France demande à Emmanuel Macron et à Roland Lescure, ministre de la souveraineté énergétique, de :
- communiquer en toute transparence la quantité d’URT exportée vers la Russie depuis 2022;
- intervenir pour stopper ces exportations d’URT en direction de la Russie et empêcher les industries du nucléaire EDF, Framatome et Orano de faire un pas de plus vers la Russie, ce qui enverrait un signal désastreux à l’Ukraine;
- indiquer le planning prévu par la France pour la publication de sa feuille de route de sortie des fossiles et du nucléaire russe dans le cadre de REPowerEU;
- exiger la rupture des contrats d’exportation et d’importation d’uranium enrichi russe et d’uranium naturel du Kazakhstan et l’Ouzbékistan transitant via Rosatom.
Stoppées en 2010, les relations commerciales concernant les déchets radioactifs et le re-enrichissement de l’Uranium de Retraitement (URT) entre Orano, EDF et l’industrie nucléaire russe avaient repris en 2021. Elles avaient été de nouveau stoppées en 2022, suite au début de l’invasion globale de l’Ukraine et la dénonciation de Greenpeace France de l’envoi d’une cargaison d’URT à Dunkerque le 28 septembre 2022.
La France dépend entièrement de la Russie pour se décharger de son uranium de retraitement car celle-ci possède la seule usine au monde réalisant l’opération de conversion de l’uranium de retraitement.
Cet uranium de retraitement est issu du processus de retraitement du combustible irradié (UNE) à l’usine de La Hague. Il est ensuite stocké dans des hangars à Pierrelatte (Tricastin). Aujourd’hui, environ 35 000 tonnes d’uranium de retraitement s’y accumulent, illustrant la situation scandaleuse de la gestion des matières nucléaires qui devraient être requalifiée en déchets. [2]
Notes aux rédactions
[1] Le 18 novembre 2022, des membres de Greenpeace France apprennent lors de leur participation à une réunion de l’ANCCLI que le gouvernement a ordonné à EDF de stopper les exportations d’URT en Russie.
[2] De 1972 à 2010, plusieurs milliers de tonnes d’uranium de retraitement ont été exportées vers la Russie pour être converties et ré-enrichies. Revenues en France sous forme d’uranium de retraitement « enrichi », moins de 600 tonnes ont été utilisées dans les quatre réacteurs de la centrale de Cruas-Meysse entre 1994 et 2013.
Depuis des années, Greenpeace fait campagne pour que la France cesse d’envoyer son uranium de retraitement en Russie et qu’elle stoppe l’envoi de ces “déchets russes”.
Seul 10% de l’uranium converti / réenrichi est renvoyé depuis la Russie vers la France pour être utilisé une seule fois dans la centrale nucléaire de Cruas, la seule à pouvoir fonctionner avec des combustibles URE.
EDF prévoit d’utiliser dans les années à venir de l’URT dans les réacteurs de 1300 MWe. Une telle décision résulterait à amplifier la collaboration de l’industrie nucléaire française avec Rosatom et donc à augmenter le poids de la dépendance de la France envers la Russie.
90% de la matière envoyée reste sous forme de déchets sur le site de Tomsk, dans la ville secrète de Seversk en Sibérie. Greenpeace estime qu’il est immoral d’envoyer ces matières nucléaires français dans un autre pays et que sous cette transaction, il y a un objectif de se débarrasser d’un stock encombrant de déchets radioactifs puisque 90% deviennent des déchets stockés sur place.
Suite à une campagne de long terme de Greenpeace, l’envoi d’URT en Sibérie avait été stoppé, s’appuyant sur la preuve de la catastrophe environnementale, documentée notamment par le HCTISN, provoquée par le soi-disant recyclage de l’URT sur le site de Tomsk.
En 2023, Greenpeace France a publié une investigation inédite sur les liens entre l’industrie nucléaire française et l’entreprise nucléaire russe Rosatom, qui démontre que la France est pieds et poings liés à la Russie : https://www.greenpeace.fr/espace-presse/investigation-le-nucleaire-francais-sous-emprise-russe/
Le Mikhaïl Dudin, immatriculé sous un pavillon de complaisance (Panama), se rend régulièrement à Dunkerque décharger de l’uranium enrichi russe ou de l’uranium naturel chargé à Saint-Pétersbourg. En octobre dernier, il s’est arrêté au large de la Suède puis au large des Pays-Bas, pour des raisons “techniques”. Contrairement aux autres livraisons observées ces derniers mois, plusieurs gendarmes du Peloton de sûreté maritime et portuaire (PSMP) étaient présents lors de la livraison d’uranium enrichi russe en octobre dernier.