Des aliments contaminés à l’hexane : Greenpeace alerte sur un scandale sanitaire silencieux
Après un an d’investigation, Greenpeace France publie aujourd’hui les résultats d’une enquête sur l’hexane, un solvant issu du pétrole massivement utilisé dans la production d’huiles végétales et l’alimentation animale. Les tests réalisés par Greenpeace révèlent que des résidus de ce composé chimique sont présents dans de nombreux aliments du quotidien comme les huiles alimentaires, le lait (y compris infantile), le beurre et le poulet. Au cœur de ce scandale sanitaire : l’industrie agroalimentaire. En raison des dangers que l’hexane représente pour la santé publique, Greenpeace exige l’interdiction de son utilisation dans la production alimentaire.
“Au regard de la dangerosité de l’hexane, nous avons réalisé des tests sur une variété de produits alimentaires dont les résultats sont sans appel : nos aliments du quotidien sont contaminés à l’hexane ! alerte Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace. Pourtant, son utilisation n’est pas nécessaire dans la production de ces aliments : il est utilisé uniquement pour des raisons économiques et de productivité par les industriels de l’agriculture. L’hexane n’a rien à faire dans notre alimentation et les citoyennes et citoyens ont le droit de savoir ce qu’ils mangent : il s’agit là d’un enjeu de santé publique et d’accès à une alimentation saine. Il est urgent d’appliquer le principe de précaution et d’interdire l’hexane.”
Un solvant massivement utilisé mais toxique
Utilisé pour extraire l’huile contenue dans les graines oléagineuses (colza, soja, tournesol…), l’hexane est omniprésent dans les procédés industriels de production d’huiles végétales en conventionnel. Si son usage permet d’optimiser les rendements industriels, il laisse des résidus potentiellement toxiques dans une multitude de produits alimentaires, en plus des huiles de table. En effet, des pertes d’hexane se retrouvent également dans les tourteaux, aliments protéinés destinés à nourrir les animaux d’élevage (volailles, porcins et bovins). Après ingestion par ces animaux, des traces de ce solvant peuvent être présentes dans les produits consommés par les humains : beurre, lait, viande…
Cette utilisation massive de l’hexane fait peser un risque majeur sur la santé publique puisque cet hydrocarbure est une substance neurotoxique avérée, suspectée d’être reprotoxique et un potentiel perturbateur endocrinien. Il est d’ailleurs classé comme substance CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique) par l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques).
Une réglementation faible et obsolète
Malgré ces risques sanitaires, les consommateurs ne sont pas informés : classé comme “auxiliaire technologique” par la réglementation européenne, l’hexane n’apparaît sur aucune étiquette.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a estimé en 2024 que les données sur l’hexane étaient insuffisantes et inadéquates. Non seulement la législation en vigueur ne couvre que très peu de produits alimentaires mais en plus, elle indique une limite maximale de résidus qui s’appuie sur des études datant de 1996, fournies par les industriels eux-mêmes. Par ailleurs, elle n’intègre aucune évaluation des effets d’une exposition chronique, notamment sur les populations vulnérables (nourrissons, femmes enceintes, personnes ayant certaines prédispositions génétiques, etc.). Pire encore, aucune limite réglementaire n’existe pour les produits d’origine animale (viande, lait, beurre…) : l’exposition de la population à l’hexane est donc largement sous-estimée.
Des résultats alarmants : nos aliments sont contaminés
Greenpeace France a fait analyser 56 produits de marques variées (huiles, beurres, laits, laits infantiles, viandes de poulets, ainsi que des tourteaux pour l’alimentation animale) par un laboratoire universitaire. Les résultats révèlent la présence de résidus d’hexane dans 36 produits testés, soit près de deux tiers des produits.

Produits testés par Greenpeace France dans lesquels des résidus d’hexane ont été retrouvés © Nastasia Frolow / Greenpeace
Les consommateurs sont donc exposés de manière indirecte, diffuse et quotidienne à l’hexane, sans avoir la possibilité de l’identifier ou de s’en protéger. Pour Greenpeace, le principe de précaution est ignoré au profit d’intérêts industriels.
Avril : un acteur au cœur du scandale sanitaire de l’hexane
Le groupe Avril, cinquième acteur agroalimentaire français, propriétaire notamment des marques Lesieur et Sanders (leader français de l’alimentation animale) est le premier utilisateur agro-industriel d’hexane en France. Il détient le quasi-monopole dans la filière française des oléoprotéagineux : il transforme plus de la moitié des graines oléo-protéagineuses triturées en France et jouit d’une place prépondérante au sein des instances de la filière. Plus de 90 % des graines transformées par Avril le sont dans des usines utilisant de l’hexane. L’intérêt majeur de ce solvant repose sur sa rentabilité puisqu’il permet d’extraire environ 97 % de l’huile de la graine (contre 89 % en recourant à l’extraction mécanique).
Cette position lui confère une influence majeure, non seulement sur les orientations industrielles de la filière, qui continue à avoir massivement recours à l’hexane pour sa rentabilité, mais aussi sur les instances professionnelles et politiques, le tout rendant difficile la transition vers des alternatives vertueuses, qui existent pourtant.
Greenpeace exige des mesures immédiates
Ce rapport est publié alors que Guillaume Coudray, journaliste d’investigation spécialiste de l’industrie agroalimentaire, a publié le 18 septembre dernier le livre De l’essence dans nos assiettes. Enquête sur un secret bien huilé (La Découverte) pour alerter sur les dangers sanitaires de l’hexane.
Le rapport de Greenpeace montre que l’usage de l’hexane est indissociable de l’industrialisation de l’élevage du fait de son rôle central dans la production à grande échelle de tourteaux pour nourrir les animaux. Ainsi, ce scandale sanitaire est aussi la conséquence de choix industriels et politiques pour maintenir un modèle productiviste, notamment soutenu par la FNSEA (dont le président est par ailleurs également le président du conseil d’administration du groupe Avril), au détriment d’exploitations plus durables, de la santé publique et de l’environnement.
Greenpeace France appelle les pouvoirs publics et en particulier le ministère de la Santé :
- à interdire l’utilisation de l’hexane comme solvant d’extraction dans tous les produits alimentaires français, qu’ils soient à destination des êtres humains ou des animaux d’élevage ;
- à interdire l’importation et la vente de produits alimentaires contenant des résidus d’hexane ;
- à rendre obligatoire l’étiquetage des “auxiliaires technologiques” (dont l’hexane) sur tous les produits ;
- à relancer la recherche sur la toxicité chronique de l’hexane et à développer des méthodes d’extraction sans solvant toxique, via le soutien des pouvoirs publics.