Ecologie et féminisme, des combats communs

Pour créer le monde plus désirable et souhaitable auquel nous aspirons, nous devons commencer par reconnaître que la destruction des vies humaines et celle des ressources de la planète ont les mêmes racines violentes, ancrées dans des systèmes d’oppression et d’exploitation alimentés par des pratiques coloniales, capitalistes et patriarcales. Retour sur quelques luttes féministes emblématiques des dernières décennies, sources d’inspiration pour les combats écologistes.

Avril 1973, Uttarakhand, Inde du Nord – Le mouvement Chipko

Mobilisation écoféministe en 1973, dans un village de l’Uttar Pradesh, aujourd’hui situé dans l’Uttarakhand, berceau du mouvement Chipko.
© NA, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

La première action du mouvement Chipko (une mobilisation non-violente pour la conservation des forêts) rassemble les habitants et habitantes du village de Mandal qui enlacent les arbres pour empêcher l’exploitation d’une forêt voisine. Après le conflit frontalier entre la Chine et l’Inde en 1963, cette région riche en bois est devenue une plaque tournante pour le commerce du bois et les sociétés d’exploitation forestière étrangères. La mauvaise gestion de ces sociétés a contribué à des glissements de terrain destructeurs provoqués par des inondations. Les femmes de la région, en particulier, dépendaient fortement de la forêt pour se nourrir et se chauffer. Lorsque leurs moyens de subsistance ont été fortement menacés, elles se sont organisées. Inspirées par la méthode de résistance non-violente du Mahatma Gandhi, elles ont alors encouragé les villageoises et les villageois à bloquer physiquement les projets de déforestation.

La campagne a été un succès et bientôt des centaines d’autres communautés rurales à travers le pays ont appliqué la même méthode, généralement sous l’impulsion de femmes. Le mouvement Chipko est considéré comme l’un des premiers mouvements écoféministes du siècle dernier, dont les principes sont la résistance non-violente, l’action directe décentralisée et l’écologie.

1978-1981, Bretagne, France – Lutte antinucléaire, par les femmes de Plogoff

Femmes mobilisées contre le projet de centrale nucléaire, Plogoff , pointe du Raz, France.
© Yvon Boelle / Abaca

Le 3 décembre 1974, le village de Plogoff, à l’extrémité de la pointe du Raz, site touristique reconnu pour sa grande beauté, apprend qu’il a été choisi pour abriter une centrale nucléaire, dans le cadre d’un programme nucléaire prévoyant la construction de 400 réacteurs dans toute la France. Les Plogoffistes s’opposent immédiatement à la destruction de leur lieu de vie.

En juin 1976, le comité de défense de Plogoff est créé, à l’initiative du maire, Jean-Marie Kerloch, accompagné par ses concitoyennes et concitoyens. Or, à Plogoff, les hommes sont marins, et fort éloignés de la situation locale. À terre : les femmes, qui dirigent et font des choix en toute autonomie. Ce sont bien elles qui vont mener la lutte et s’opposer, notamment physiquement, aux décisions politiques. Durant la période de l’enquête d’utilité publique (début 1980), notamment, et en dépit de la répression violente, elles vont se relayer pour éloigner les gendarmes mobiles, monter en première ligne sur les barricades et bloquer les accès à la commune.

Le 12 décembre 1981, le projet est abandonné. Un bel exemple de la lutte féministe antinucléaire et de l’importance de la voix des femmes dans la préservation de l’environnement.

Juin 2015, Argentine – Ni Una Menos

Marche pour Ni Una Menos à Santa Fe, Argentine, 2018.
© TitiNicola, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

Des féministes ont organisé la première marche sous le nom Ni Una Menos, se traduisant par « pas une (femme) de moins », après que Chiara Páez, une jeune fille enceinte de 14 ans, a été brutalement assassinée par son petit ami. La marche a rassemblé plus de 200 000 personnes à Buenos Aires venues exprimer leur colère, briser le tabou autour du taux élevé de féminicides et remettre en question la culture machiste toxique du pays.

Des mouvements citoyens du même nom se sont rapidement formés dans d’autres pays d’Amérique latine ainsi qu’en Europe. Aujourd’hui encore, leurs mobilisations rassemblent des centaines de milliers de personnes dans les rues pour mettre fin aux relations de pouvoir patriarcal. Le combat de Ni Una Menos adopte une approche intersectionnelle en soulignant que la violence patriarcale est étroitement liée aux injustices sexuelles, raciales, économiques et coloniales, entre autres. La solidarité est au cœur de leur résistance qui rassemble des personnes de tous sexes et genres pour exiger la fin des injustices sociales. Les actions de masse ont visibilisé les questions féministes dans les médias et dans la société en Amérique latine, créant une nouvelle vague féministe connue sous le nom de
« la marea verde », « la vague verte », en référence aux emblématiques écharpes vertes que les « pro-choice » portent en signe de soutien à la campagne pour la légalisation de l’avortement.

Septembre 2022, Iran – Meurtre de Jina Amini

Manifestations de solidarité avec l’Iran, Berlin, octobre 2022.
© Amir Sarabadani, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

La torture et le meurtre de Jina (Mahsa*) Amini, 22 ans, kurde iranienne, par la police des mœurs iranienne, au prétexte qu’elle ne s’habillait pas selon les normes gouvernementales, ont déclenché des manifestations non autorisées massives dans le pays. Les féministes iraniennes luttent pour l’égalité des droits depuis 40 ans et la mort de Jina Amini est l’événement qui a transformé l’indignation de la population en action de masse.

Dans les jours et les semaines qui ont suivi la mort de Jina Amini, des manifestations de masse organisées par des femmes ont eu lieu dans tout le pays. Contrairement aux révoltes précédentes, celle-ci a rassemblé différents secteurs de la société civile, de groupes ethniques et religieux mais aussi de classes économiques et de tranches d’âge très divers, en un front uni et solide. Toutes et tous se sont concentré·es sur un ensemble de revendications communes fondées sur les valeurs démocratiques, plutôt que sur leurs différences. Le régime a réagi en arrêtant, torturant et emprisonnant des milliers de personnes et en tuant des centaines de manifestant·es non violent·es.

Les mobilisations de masse et les grèves ont également engendré des manifestations de solidarité internationale, avec des collectifs citoyens, des organisations de défense des droits humains et des individus demandant instamment la fin de la domination violente de l’État islamique sur ses populations. Cette dernière vague de soulèvements féministes met en lumière le pouvoir d’un front uni diversifié. Le slogan kurde « Jin Jiyan Azadi » (Femme, Vie, Liberté) est désormais un hymne féministe international célèbre.

*Mahsa est le nom persan qu’elle a été contrainte d’adopter officiellement car, en raison d’une longue histoire de discrimination à l’encontre des Kurdes en tant que communauté ethnique minoritaire dans l’État d’Iran, les noms kurdes sont interdits. Ironiquement, son vrai nom et le nom que sa famille et ses amis proches lui donnaient, « Jina », signifie « vie » en kurde.


Les actions directes et non-violentes, les grèves et les manifestations de masse sont autant de tactiques utilisées par les mouvements féministes et de justice climatique dans le monde entier. Mettons en pratique les notions d’intersectionnalité, de solidarité et de collaboration en déconstruisant les préjugés, en écoutant les autres et en apprenant de chacune et chacun, en faisant entendre nos voix et en nous mobilisant activement les un·es pour les autres. En mettant les voix des communautés les plus touchées au cœur de l’action, nous pouvons mettre collectivement en marche un vrai changement de société

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