COP21 : vers un texte fantomatique ?

Un nouveau texte, hier. Encore un. Proche de la version définitive, cette fois. La première mouture de l’accord obtenu samedi dernier comportait 48 pages. Celle-ci : 29. Et environ trois quarts des options entre crochets ont été « nettoyées », comme dit Laurent Fabius. Pour autant, rien n’est fait. C’est bien le cas de le dire.

Grande fébrilité dans les conciliabules plus ou moins informels tenus par les « geeks » – ceux qui connaissent le texte par cœur et qui sont chargés de le décrypter le plus rapidement possible pour les ONG, avant les conférences de presse – au moment de recevoir la nouvelle version consolidée de l’accord. Certains rafraîchissent frénétiquement la page web du site officiel de l’ONU. D’autres « surventilent ». On se laisse facilement prendre au jeu, dans l’enceinte du Bourget. Il faut dire qu’on s’approche de la fin d’un cycle où les délégations de la société civile, afin de mener leur travail d’alerte et d’influence, ont dépensé beaucoup d’énergie.

Fixer l’agenda

Il faut d’abord noter quelques avancées. Notamment sur les questions de mécanique procédurale, puisque le texte prévoit des retrouvailles de toutes les parties tous les cinq ans, afin de faire le point sur notre trajectoire collective et de guider l’action future des Etats. Mine de rien, c’est une manière de faire peser la question climatique dans les agendas nationaux et de renforcer la diplomatie environnementale internationale.

Par ailleurs, le texte prévoit que tous les pays s’alignent sur la même matrice temporelle, que le cadre historique et la chronologie climatique soient les mêmes pour tous, afin que toutes les parties soient synchrones, alignées sur le même cycle politique. Autrement dit, le texte sécurise la constitution d’un agenda climatique international, ce qui était loin d’être le cas à Copenhague. Reste à espérer que de nouveaux visages composent les délégations en présence.

Copie à revoir

Car à quelques heures du texte final, nous sommes encore bien loin du compte. Dans les options restantes demeure surtout le pire. Sans entrer dans les détails, trois tendances se détachent à ce stade.

Concernant la vision de long terme que le texte est censé fixer, on continue notamment à parler de « neutralité carbone ». Ce qui signifie que nos systèmes socio-économiques doivent simplement trouver des moyens de stocker le carbone ou de diminuer sa part relative dans le mix énergétique. Ce qui sied très bien au secteur des industries fossiles. Pourquoi ? Parce que cette solution n’implique pas de laisser, comme le préconisent pourtant les enquête scientifiques, les ressources fossiles sous terre dès maintenant.

En outre, le texte ne prévoit pas, comme nous le demandions pourtant avec les autres ONG de la société civile, de mécanisme de révision à la hausse des engagements des chaque Etat avant 2020. Ce qui signifie que chacun va rentrer chez lui sans rien changer, laissant l’augmentation mondiale des températures sur une trajectoire d’augmentation de 3°C. Pire : nous sommes à l’avenir collés aux contributions nationales qui seront mises unilatéralement sur la table en matière de réduction des gaz à effet de serre, sans qu’il soit possible de les faire évoluer collectivement avant leur mise en œuvre. Car rien n’oblige dans le texte actuel à les relever régulièrement. Aucune pente positive n’est donc actée dans le texte. Chacun continuera de fait à faire un peu ce qu’il veut. Incroyable, mais vrai.

Enfin, aucun mécanisme de soutien financier Nord-Sud après 2020 n’est instauré, et rien de très concret n’a été proposé pour aider l’adaptation des pays en développement ou vulnérables à la menace climatique. Quant aux questions des droits humains ou celle des femmes, elles n’ont toujours pas été sérieusement traitées.

Où sont les pays du Sud ?

Étrangement, l’agenda fixé par la présidence française semble bel et bien devoir être tenu. Aucun coup d’éclat, pas d’anicroches. Au regard de la faiblesse du contenu du texte, cela signifie que les États du Sud, pourtant trépidants à l’ouverture des négociations, se sont soudainement endormis.

Or répétons-le : la diplomatie onusienne est une diplomatie du consensus. Il suffit qu’une seule des parties refuse de signer, pour qu’il n’y ait pas d’accord final. Les pays du Sud pourraient donc tout à fait jouer les trouble-fêtes, mais ils semblent s’y refuser.

Plusieurs possibilités. Soit ils se sont fait endormir par la maestria de la présidence française, qui a pris soin de huiler avec grand talent le déroulement des négociations. Quand vous maîtrisez les règles de la discussion, vous avez prise sur leur contenu. Car vous vous dictez le tempo. Vous réunissez les bonnes personnes entre elles. Vous encouragez ou dissuadez. Vous facilitez ou prenez de cours. Vous maîtrisez le temps et l’espace, travail sophistiqué de marionnettiste, pour tenir l’équilibre.

Soit, autre possibilité, les pays du Sud ont un agenda différent, composé de relations bilatérales et agrémenté de promesses, qui les incite à délaisser l’agenda onusien. Soit encore, la peur de voir s’évaporer les choses obtenues au cours d’une obstruction, quand bien même elles seraient bien maigres, contient finalement toute audace et toute ardeur. La résignation malheureusement se répand vite dans les salons diplomatiques.

Soit enfin, la composition du G77, au sein duquel des pays en développement aussi développés que la Chine côtoient des pays pauvres comme le Bangladesh, est trop hétérogène pour porter et tenir de manière unanime des positions radicales. Quoiqu’il en soit, cette COP21 prend l’allure d’une belle occasion manquée.

Coup de rein des États-Unis

John Kerry était à Paris aujourd’hui. Dans un discours plutôt bien tourné, le vice-président des États-Unis est venu annoncer qu’il doublait le montant des fonds américains destinés à l’adaptation au dérèglement climatique des pays en développement. Nous en sommes donc désormais à 800 millions de dollars par an. Un bon signal, en soi. Mais une somme néanmoins toujours insuffisante.

En outre, quand il s’agit de rhétorique, l’administration Obama est sans doute la plus efficace. Et dans les toutes dernières encablures de son second mandat, le dernier donc, il n’est pas impossible que Barack Obama veuille assouplir la position américaine sur la question climatique et qu’il travaille sans doute, en ce moment même, à fignoler les contours de son héritage politique. N’a-t-il pas reconnu vaillamment, dans son discours d’ouverture, que son pays « portait une responsabilité historique dans le dérèglement climatique ? ». Bilan nettement plus mitigé lorsqu’il faut évaluer les actes. Nous attendons donc de voir la couleur de l’oseille avant de décerner des médailles de générosité à John Kerry.

Dans cette négociation, les États-Unis se sont montrés favorables à des périodes d’engagements nationaux de cinq ans, dont le cycle commencerait avant 2030. Mais sans qu’il s’agisse de revoir les ambitions à la hausse : les engagements doivent rester la stricte prérogative des États. En fait, c’est à peu près ce qui figure dans le texte.

En revanche, note plus positive, les États-Unis plaident ardemment pour la mise en place d’un mécanisme d’évaluation clair et transparent des efforts et des résultats de chaque pays en matière de réduction des émissions. Clairement, ils ne veulent tolérer aucun recul d’aucune des parties. Évidemment, cela leur permettrait de garder un œil sur leurs principaux concurrents : la Chine et l’Inde. Pour autant, les États-Unis ne veulent pas d’un accord juridiquement contraignant – alors même que ce type d’accord, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là, n’a pas besoin d’une approbation du Congrès (à majorité républicaine) pour être mis en œuvre.

Car dans le régime présidentiel américain, la législation nationale donne déjà au président l’autorité pour ratifier ce type d’accords internationaux sans passer par le Congrès. Seuls des engagements financiers et des contributions nationales, qui relèvent d’un autre degré de précision, « d’opérationalité », pour utiliser un terme barbare, requièrent de passer de nouvelles lois nationales que la majorité républicaine ne manquerait pas de bloquer. Le bon compromis serait donc d’aboutir à un traité juridiquement contraignant, mais avec des engagements nationaux de réduction d’émissions décrits dans un langage non contraignant et non détaillé. L’inverse de leur position actuelle, en somme.

Concernant l’objectif de long terme, sur lequel sont censées s’accorder les parties (du moins nous l’espérons, car il n’est pas encore tout à fait acquis que la notion de long terme fasse partie du texte final), les États-Unis restent assez flous. Mais sans surprise, ils évoquent souvent la notion de neutralité carbone ou d’économie bas carbone, qui évite d’enclencher la transition systémique qui nous sortira définitivement de l’ère des énergies fossiles.

Ils n’auront pas Aurora

C’est donc pour tirer la sonnette d’alarme que nous avons abattu aujourd’hui notre joker dans le centre de conférence : Aurora. Aurora, c’est une ourse. Une ourse polaire. Une ourse polaire mécanique, de plusieurs mètres de haut comme de long. Il faut plusieurs personnes pour la mouvoir, tant elle est massive et paresseuse. Elle ressemble aux grandes machines de Nantes, en plus craquante. Des hublots sur les flancs et un gouvernail à l’arrière. Quelque chose de Jules Vernes. Aurora bouge sa grande tête avec agilité, aussi. Et même qu’elle beugle, parfois. Comme ce matin, où elle a sans doute établi un nouveau record de selfies.

Aurora au Bourget, le 09/12/2015 © Clément Sénéchal

Cette créature symbolise en réalité l’ensemble des peuples et des espèces animales d’ores et déjà affectés par le réchauffement climatique et qui, pendant que les négociateurs escriment et esquivent entre deux chambres d’hôtel, sont déjà en train de préparer leur exode. Certains d’entre eux, populations indigènes et gens du grand Nord, étaient là ce matin pour l’une des actions les plus marquantes de la journée. Ils ont exhorté les décideurs à prendre enfin des décisions concrètes pour stopper le désastre en cours.

Avec Amnesty

C’est d’ailleurs pour soutenir les populations vulnérables que Greenpeace s’est associée à Amnesty International pour demander 100 % d’énergies renouvelables pour tous d’ici à 2050. Dans une déclaration commune, les deux organisations ont en effet mis en garde les gouvernements contre les dangers que représentent les changements climatiques pour les droits humains. Parce que le dérèglement climatique relève directement de cet enjeu.

Aujourd’hui déjà, les droits à la vie, à l’eau, à l’alimentation, à la santé et au logement de milliers de personnes à travers le monde sont mis à mal par les changements climatiques. Jusqu’à 600 millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de la faim d’ici à 2080 à cause du bouleversement climatique, d’après le PNUE. Et même en limitant le réchauffement à 2°C, le GIEC prévoit qu’une personne sur sept dans le monde sera touchée par une diminution des ressources en eau. Au cours des sept dernières années, 157,8 millions de personnes ont perdu leur foyer en raison des phénomènes climatiques extrêmes, et les risques de déplacement de populations sont 60 % plus élevés qu’en 1975, d’après les chiffres de l’Observatoire des situations de déplacement interne. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’attend à ce que le changement climatique entraîne près de 250 000 décès supplémentaires par an entre 2030 et 2050, dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress lié à la chaleur.

« Tous les États sont tenus, aux termes du droit international relatif aux droits humains, de prévenir les atteintes aux droits fondamentaux […] Le respect des droits humains ne peut être garanti que si les gouvernements s’engagent à sortir de l’ère fossile, et à accélérer la transition vers 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 », avons-nous rappelé dans cette déclaration commune, exigeant qu’il soit fait explicitement mention des droits humains dans le futur accord. Il reste quelques heures à peine pour que ce soit effectivement le cas.

De la ferveur, enfin

La société civile elle-même semble avoir été un peu décontenancée par la finesse de barre de la présidence française. Elle s’est montrée jusque-là relativement disciplinée au Bourget. Sauf hier soir. Une fois la nouvelle mouture de l’accord rendue publique, un vaste sit-tin a en effet été organisé devant la salle plénière où il avait été présenté devant toutes les délégations nationales.

Tout le monde s’est serré, épaule contre épaule, jambes repliées. Des hommes et des femmes se sont tour à tour levés pour crier haut leurs mots d’ordre. Et tour à tour, ceux qui les entouraient les ont répétés pour leur donner l’amplitude du nombre. Les voix présentes avaient quelque chose d’ardent. Les visages tendus par les lectures répétitives du texte se sont déridées. On était heureux de se compter, de voir qu’il y avait encore de l’énergie dans les rangs.

On a donné de la voix pour la justice climatique, pour que les pays du Nord cessent de se défiler, pour que ceux du Sud ne cherchent pas d’excuse, pour qu’un changement de système intervienne dès maintenant, pour que l’ensemble de ceux qui n’étaient pas avec nous puissent être entendus, pour que les générations futures connaissent un monde clément, pour que la démocratie prenne ses droits.

Il y avait tant de révolte et de bonheur à se retrouver là que les choses se sont prolongées au-delà du temps imparti par le secrétariat de l’ONU, qui a envoyé ses troupes de sécurité pour nous déloger. Mais nous sommes partis en chantant toujours nos mots d’ordre, formant une véritable manifestation au beau milieu du centre des négociations.

Image rassurante : quelle que soit l’issue de ces deux semaines, quelle que soit la faiblesse de l’accord, la société civile apparaît plus que jamais prête à prendre sa part du combat pour la justice climatique et un avenir décent, renouvelable, cessible à ceux qui ne sont pas encore là.

PS : Un peu partout dans Paris et sur le parcours qu’empruntent chaque jour les négociateurs du Bourget, des autocollants jaunes et bleus se sont mis à fleurir, donnant sans doute des idées aux passants. Ceux des militants de Greenpeace, qui portent le message pour un monde 100% renouvelable. Et le plus beau collage sera mis à l’honneur dans le dernier numéro de la Gazette.