Océans

Bison fûté avait prévu une journée orange

François Catzelfis, bénévole français nous raconte son travail d’observation.

Cage – vide – pour le transport des thons rouges capturés vivant par les thoniers-senneurs. Cette cage sera remorquée à très petite vitesse (entre 1 et 3 nœuds) jusqu’aux fermes d’engraissement.

Enfin la tempête s’est calmée …. Pour preuve, tous les chalutiers, ligneurs et fileyeurs – petits et grands – ont quitté le port de Pantelleria dans la nuit de jeudi à vendredi. Grand beau, pas de vent, mer calme et plate : des conditions idéales pour du scouting aérien.

Nous décollons à 10h00, direction sud-est, vers Lampedusa et Malte. Quel bonheur de pouvoir enfin « travailler », après ces cinq jours d’immobilisation forcée. A 10h23, première observation intéressante, par 36°25’N et 12°08’ E : un chalutier, pas bien jeune, qui traîne une grande cage à thons en direction du 210. Le pilote, bien compréhensif, descend et on cercle le remorquage en cours : vite, les jumelles et le dictaphone : « coque bleue, passerelle blanche, la cage de transfert mesure env. 60 m. de diamètre, et elle est vide. Le vieux chalutier la traîne en direction du sud-ouest-sud, à petite vitesse. ». Tout cela se déroule vite, avec cet avion qui ne peut pas trop ralentir : juste le temps de prendre 4 photos, on verra bien au retour lesquelles sont exploitables.

Reprise du cap général en direction des côtes tunisiennes : la visibilité est excellente, on repère un bateau de 25m. à au moins dix kilomètres de part et d’autre de notre trajectoire. 10h56, 11h02, 11h10, 11h26, 11h33, 11h46, 12h28 : encore sept observations de grandes cages à thons rouges, toutes vides, en remorquage, principalement entre les îles de Lampedusa et Malte. Les remorqueurs poussifs sont soit de vieux chalutiers, soit des palangriers (ligneurs), et chacun traîne une cage circulaire de diamètre 50 à 70 m. Nous verrons même un vrai remorqueur, trapu et puissant, fonçant en direction du nord-ouest.

Il est midi, notre avion est proche des côtes tunisiennes, visibles dans la légère brume de l’horizon : tout d’un coup, 2, puis 3, puis 5 et enfin 8 bateaux sont repérés, assez proches les uns des autres, et immobiles. Un groupe de thoniers tunisiens, certains remorquant de petites embarcations du genre skiff ou zodiac. Ces bateaux sont beaucoup plus modestes que les puissants thoniers-senneurs français ou italiens, et les quatre plus grands que nous survolons sont munis d’une senne tournante et d’une grue hydraulique.

Officiellement, la Tunisie bénéficie d’un quota – attribué par l’ICCAT – de 2364 tonnes de thons rouges en 2008, et d’une flotte de 69 thoniers-senneurs, la plupart de taille moyenne à petite. Pour comparaison, la France a obtenu en 2008 un quota de 5307 tonnes, dont un sous-ensemble de 4164 tonnes a été distribué sous forme de quota individuel à chacun parmi 36 thoniers-senneurs méditerranéens.

Comme le démontre de façon très argumentée et convaincante un récent rapport du WWF et de ATRT (Race for the last bluefin : mars-2008), il y a beaucoup trop de thoniers-senneurs en Méditerranée, beaucoup trop de cages de transfert, et beaucoup trop de fermes d’engraissement des thons rouges. Pour rentabiliser ces énormes investissements, les acteurs de la filière «pêche et embouche des thons rouges » trichent et capturent beaucoup plus de poissons que ce qui leur est accordé. Cette énorme surpêche met en péril la survie du stock méditerranéen de thons rouges, de l’avis même des scientifiques mandatés par l’ICCAT.

12h45 : fin de la tournée d’observations ; il faut maintenant rapidement retranscrire toutes les notes enregistrées sur dictaphone, examiner les photographies, rédiger le compte-rendu, dresser les observations sur une carte géographique de la zone, et transmettre le tout à qui de droit.

Bison Fûté avait raison : ce vendredi était une journée orange …