Gazprom contre les 30 de l’Arctique

La réaction disproportionnée des autorités russes face à l’action de protestation de Greenpeace ne produira pas les résultats escomptés par Moscou. Au contraire, elle risque fort d’engendrer l’effet inverse et de contribuer à la réussite du mouvement mondial qui s’est constitué pour défendre le climat.

Gandhi

Depuis que le monde est monde, l’abus d’autorité a trouvé sur sa route la contestation citoyenne. L’Épopée du roi sumérien Gilgamesh n’aurait jamais commencé si ses sujets ne s’étaient pas plaints du souverain tyrannique, qui exploitait les hommes pour la guerre et les femmes pour assouvir ses désirs. Plus près de nous, Gandhi, Martin Luther King, Rosa Parks, Aung San Suu Kyi ou encore Nelson Mandela ont lutté avec des moyens pacifiques pour que le bon sens triomphe. Invariablement, ils se sont heurtés à une réaction excessive de la part des autorités. Récemment encore, les manifestations de Gezi Park, en Turquie, ont été réprimées dans la violence.

C’est dans ce contexte historique que s’inscrit l’arrestation par la Russie des 28 membres d’équipage et militants de Greenpeace International et des deux journalistes freelance. D’abord inculpés de piraterie, ils sont dorénavant accusés d’« hooliganisme » – des charges infondées puisque, comme le montrent les éléments du dossier, ils ont protesté pacifiquement pour exprimer leur inquiétude au sujet de l’Arctique et du climat. Manifestement, leurs actes ne relèvent pas plus de la piraterie que du hooliganisme, ni d’aucun autre crime d’ailleurs.

Depuis toujours, la réaction démesurée des autorités (violence, arrestation, emprisonnement) ne fait que galvaniser les mouvements sociaux et encourager les citoyens à prendre leur destin en main. L’attentat perpétré en 1985 par le gouvernement français contre le Rainbow Warrior, qui a coûté la vie au photographe Fernando Pereira, avait déclenché une vague de soutien internationale en faveur de Greenpeace… et laissé une tache indélébile sur l’image du gouvernement français.

Depuis la création de Greenpeace au Canada en 1971, des militants guidés par le sens de l’intérêt général ont défendu notre planète, les baleines, les forêts, le climat, les océans… Greenpeace rassemble des anciens de la marine, des pêcheurs, des agriculteurs, des scientifiques, des journalistes, des avocats, et depuis plus récemment, des monteurs vidéo ou encore des webmasters.

« Nous ne tirons aucun profit de nos actions. Au contraire, nous avons tout à perdre : notre liberté, notre famille, nos proches », a déclaré Paul Ruzycki, second de l’Arctic Sunrise, depuis sa cellule de Mourmansk.
Les familles des 30 de l’Arctique remuent ciel et terre. En Italie, la mère du matelot Cristian D’Alessandro a rassemblé plus de 100 000 signatures pour faire libérer son fils. Les parents du journaliste freelance Kieron Bryan ont créé un site internet pour raconter l’histoire de leur fils et demander sa mise en liberté. À Moscou, l’épouse du journaliste freelance Denis Sinyakov a manifesté devant le siège du Comité d’enquête russe avec d’autres collègues journalistes.

Des lettres ont été envoyées aux autorités russes par 11 lauréats du Prix Nobel de la Paix, les Mères de la place de Mai, le dramaturge italien Dario Fo, l’ancien champion olympique John Carlos, pour ne citer qu’eux. Human Rights Watch, Amnesty International, mais aussi plusieurs personnalités politiques dont la chancelière allemande Angela Merkel et la présidente brésilienne Dilma Rousseff, ont déploré les poursuites démesurées engagées par les autorités russes contre les 30 de l’Arctique. Enfin, près de 2 millions de sympathisants de Greenpeace se sont mobilisés, aux quatre coins du monde, pour envoyer une pétition aux ambassades russes. Le mouvement Avaaz a également recueilli plus d’un million de signatures.

Les Pays-Bas, en tant qu’État du pavillon de l’Arctic Sunrise, ont engagé une procédure contre la Russie devant le Tribunal international du droit de la mer qui siège à Hambourg, en Allemagne, pour obtenir la prompte libération de l’équipage et la mainlevée du bateau.

« Je suis en prison depuis 22 jours pour un crime que je n’ai pas commis. Tout ce que nous avons fait, c’est protester pacifiquement. Je crois que les séquences vidéo le prouvent, tout comme la tradition de non-violence qui caractérise Greenpeace », a déclaré Alexandra Harris, chargée des nouveaux médias à Greenpeace, lors de son audience devant le tribunal russe.

Nous n’oublions pas les raisons qui ont poussé 30 citoyens et citoyennes à élever la voix au péril de leur liberté : protéger l’Arctique du pillage, et préserver la planète d’un emballement catastrophique du climat. Ils ont écouté leur conscience et manifesté pacifiquement leur désaccord. Ils ont mis en lumière les dangers qui pèsent sur notre climat, forçant ainsi l’ouverture d’un débat public. Pour cela, aucune prison ne pourra jamais enfermer ces esprits libres…

Rex Weyler, écrivain, journaliste et cofondateur de Greenpeace International.
Traduit de l’anglais par Greenpeace France.