Affaire Grande-Synthe : le Conseil d’État relâche la pression, en dépit des derniers chiffres alarmants sur le climat

Le Conseil d’Etat arrête son suivi de la trajectoire française

Ce vendredi 24 octobre, le Conseil d’État a rendu sa décision dans le dossier Grande-Synthe. Ce dernier oppose la commune de Grande-Synthe et les associations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Greenpeace France et Oxfam France) à l’État concernant les objectifs climatiques de la France. Le Conseil d’État a choisi de suivre les recommandations du rapporteur public énoncées à l’audience du 10 octobre dernier et de considérer que l’État avait bien exécuté les injonctions découlant de ses deux condamnations par le Conseil d’État en 2021 et 2023. Dans un contexte de recul sur les politiques climatiques et de décrochage de la trajectoire de baisse d’émissions de gaz à effet de serre, une telle décision est préoccupante.

Pour Elsa Ingrand, chargée de campagne chez Notre Affaire à Tous :« Il serait dangereux que l’État voit dans cette décision un signe de victoire, alors même que les émissions stagnent et que les politiques climatiques reculent. Le Conseil d’État ne valide pas l’action climatique du gouvernement : il constate simplement le respect d’objectifs désormais dépassés. »

Un jugement basé sur des objectifs caduques

Le Conseil d’État, qui juge l’exécution de ce recours, a considéré que l’État avait respecté son deuxième budget carbone et était en mesure de respecter le troisième. Il remplirait ainsi ses obligations de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.

Toutefois, il faut préciser que le Conseil d’État a limité son analyse aux anciens objectifs climatiques, en vigueur au moment de la première décision en 2021, pourtant obsolètes aujourd’hui. Le jugement se fonde donc sur l’objectif de réduction de -40 % des émissions d’ici à 2030, alors qu’il a été rehaussé à -55 % des émissions nettes dans le cadre du Fitfor55 de l’Union européenne[1]

Le jugement ne porte par ailleurs que sur les émissions brutes et non les émissions nettes, alors que les puits de carbone français sont en situation de grande fragilité[2].

Une décision à contre-courant des dernières analyses

Le rapporteur a pourtant souligné dans ses conclusions que la décision du Conseil d’État de ce jour ne “vaudra pas satisfaction des objectifs actuellement assignés à l’État français”. Lors de l’audience, il a noté les “incertitudes croissantes” concernant l’atteinte de l’objectif de -40 %, et a fortiori, celle du nouvel objectif de -55 %.

Une telle décision est inquiétante, alors que nous assistons à un véritable décrochage de la trajectoire de réduction des émissions et à un manque de planification. Ainsi, les réductions d’émissions dont se prévaut l’État sur la période 2019-2023 résultent en grande partie de circonstances exceptionnelles (crise sanitaire, inflation, hiver doux) et non de politiques climatiques structurelles, ainsi que l’a relevé le Conseil d’État. 

Les derniers chiffres du CITEPA témoignent aussi de ce décrochage : la baisse des émissions de gaz à effet de serre pour l’année 2025 devrait se situer à seulement -0,8 %, bien loin des -5 % nécessaires chaque année. Cela confirme le ralentissement déjà observé en 2024 (-1,8 %) et s’inscrit dans un contexte de recul sur les mesures climatiques (coupes budgétaires, suspension de MaPrimeRénov, suppression de certaines lignes internationales de train, favorisation de l’élevage intensif via la LOA et la loi Duplomb). C’est d’autant plus alarmant que la première mouture du projet de loi de finances pour 2026 n’augure pas des politiques climatiques ambitieuses, loin de là.

Cette décision ne met pas fin au combat de l’Affaire du Siècle : nous continuerons à exiger des politiques climatiques à la hauteur de l’urgence. Le débat sur les objectifs renforcés de la France est loin d’être clos et de nouvelles pistes juridiques pourraient être envisagées. En attendant, les conséquences du changement climatique sont déjà là et impactent les plus vulnérables. Il faut donc agir en parallèle sur l’adaptation, et la justice pourra se prononcer à ce sujet prochainement dans le cadre du  recours des sinistré·es climatiques.


[1] Rapporté à la France, cela représente un objectif d’environ -50 % d’émissions brutes et -54 % d’émissions nettes par rapport à 1990 selon le gouvernement.

[2] Voir le dernier rapport du HCC, p.79, p.89, p.95 notamment.

Les étapes du recours :