EPR : le coup de grâce

Octobre 2013 : acheminement de la cuve vers le chantier de Flamanville


Areva et EDF se sont empressés de déclarer que de nouveaux tests allaient être réalisés sur cet acier, et que les travaux du chantier se poursuivaient. Les résultats des tests devraient être connus en octobre prochain.

Cet empressement à communiquer sur l’air de dire « tout va bien, nous reconnaissons le problème et agissons en conséquence » est une tentative pour détourner l’attention de la gravité de l’anomalie détectée. Car ce problème est grave. Très grave. Et les conséquences sont probablement colossales pour la filière nucléaire française.

Quelle est la nature du problème ?

L’ASN précise que les résultats des essais ont montré « la présence d’une zone présentant une concentration importante en carbone et conduisant à des valeurs de résilience mécanique plus faibles qu’attendue ». Concrètement, cela signifie que l’acier de la cuve et du couvercle est plus fragile que ce que prévoient les normes de sûreté. En effet, la présence trop importante de carbone rend l’acier plus cassant et sujet à des ruptures.

Cette cuve a été construite par Areva dans son usine du Creusot entre 2011 et 2012. L’anomalie est un problème de métallurgie qui est survenu au moment de la fabrication de ces pièces d’acier à partir de l’acier brut fourni par la fonderie. La cuve forme une pièce d’un seul tenant et il est impossible de la « rafistoler » lorsqu’il s’agit d’une anomalie dans la composition de l’acier. La seule solution pour régler le problème consiste à changer complètement la pièce.

Pourquoi est-ce si grave ?

La cuve d’un réacteur et son couvercle constituent la pièce maîtresse d’un réacteur. En effet, c’est à l’intérieur de la cuve que se produit la puissante fission nucléaire qui va produire l’énergie ensuite utilisée pour créer l’électricité.
Cette cuve en acier est soumise à des contraintes extrêmes : elle doit résister à la forte pression générée en son sein mais surtout pouvoir résister à des variations importantes de température, provoquées par l’injection d’eau froide en cas d’incident nécessitant un refroidissement d’urgence. Si l’acier est trop fragile, les parois de la cuve pourraient rompre et le liquide hautement radioactif s’écoulerait hors de cet espace de confinement. En bref, on serait confronté à un accident nucléaire majeur.

Quelles conséquences pour le chantier de Flamanville ?

Une cuve de réacteur est une pièce colossale de 425 tonnes, en acier, de 11 mètres de haut, et dont la fabrication prend plusieurs années.

Imaginons donc que les nouveaux tests promis par EDF et Areva confirment l’anomalie de l’acier de la cuve de l’EPR de Flamanville (cette hypothèse est très probable puisque l’acier testé jusqu’à présent est le même que celui qui fera l’objet des nouveaux contrôles). L’ASN demanderait alors certainement à EDF de remplacer la cuve actuelle.

Les implications de cette décision seraient extrêmement importantes pour le chantier et son coût. En effet, le chantier a continué d’avancer autour de la cuve, installée il y a un an et demi à Flamanville. Du béton a été coulé et des tuyaux (composant le circuit primaire) très sensibles ont été soudés pour faire fonctionner le futur réacteur. Retirer la cuve impliquerait de démonter tout ce qu’il y a autour, ce qui n’a jamais été fait de toute l’histoire du nucléaire ! Ce travail de titan coûtera énormément d’argent et exigera de développer un savoir-faire qui n’a tout simplement jamais été expérimenté dans le monde.

Pour un chantier dont la facture est déjà passée de 3.4 à 8.5 milliards d’euros et qui accuse un retard de 5 ans, le coup serait certainement fatal. Sans compter que, à ce stade, le coût de fabrication d’une cuve toute neuve et le délai de fabrication n’ont même pas été pris en compte…

Quelles conséquences pour les autres EPR dans le monde, en construction ou en projet ?

Areva n’a pas construit une seule cuve selon le procédé ayant produit de telles anomalies dans l’acier… mais six. Deux d’entre elles équipent la centrale nucléaire chinoise de Taishan dont le lancement est prévu à la fin de cette année. Deux autres ont été construites en prévision de la construction hypothétique d’une centrale EPR à Hinkley Point en Grande-Bretagne. Et la dernière était prévue pour un réacteur EPR aux Etats-Unis à Calvert Cliffs (Maryland), un projet aujourd’hui enterré.

Il est probable que les cuves de la centrale de Taishan présentent le même défaut.
Quelles conséquences pour ce chantier très avancé si l’anomalie est confirmée par l’Autorité chinoise en charge de la sûreté nucléaire ? Quel montant financier Areva devra-t-elle payer pour indemniser son client chinois ? Quel surcoût pour l’éventuel chantier d’Hinkley Point s’il faut fabriquer une nouvelle cuve et jeter à la poubelle celle déjà construite ? Ces questions sont cruciales et représentent autant de nuages noirs au-dessus de la tête de la filière nucléaire française.

La France a pris l’habitude de brandir fièrement l’EPR comme un fleuron industriel à vendre au monde entier. Mais ce problème de cuve représente une publicité terrible pour l’EPR dans le monde. Il est désormais inconcevable d’imaginer que les ventes d’EPR décolleront dans le monde après cette nouvelle déconvenue.

Ce dernier rebondissement est le coup de grâce porté au réacteur EPR. Le chantier de Flamanville doit être stoppé immédiatement afin de cesser de gaspiller des fortunes d’argent public dans ce cauchemar industriel. Car le bon choix pour le modèle énergétique de demain, comme de nombreux pays l’ont compris, ce sont les énergies renouvelables. Et ce choix devra être entériné dans la loi de transition énergétique.