Dislocation diplomatique autour d’Hinkley Point

 

Centrale d’Hinkley Point © Kate Davison / Greenpeace

L’entêtement nucléaire

Alors que la filière nucléaire française est dans l’impasse, la direction d’EDF s’embourbe avec entêtement dans le projet Hinkley Point C, en Angleterre, portant sur la construction de deux réacteurs EPR (pour remplacer les deux vieux réacteurs, A et B, qui devraient bientôt fermer). Problème : le coût de ce chantier s’élèverait à 24 milliards d’euros – voire 27 milliards selon les dernières estimations (EN) – au lieu des 16 milliards initialement prévus. Et comme aucune banque ne veut prêter de l’argent pour investir dans une technologie dont on ne sait toujours pas si elle marche, EDF va devoir engager près de 70 % de ses fonds propres, alors que l’entreprise est déjà endettée à près de 40 milliards d’euros et que pour prolonger le parc français vieillissant, il lui faudra sans doute débourser autour de 260 milliards d’euros.

Mais comme le patron d’EDF croit que c’est la seule façon pour EDF de rester crédible sur le marché mondial du nucléaire (qui en réalité a fortement réduit, même en Chine), il s’obstine, avec la complicité de l’Etat, dans la fuite en avant Hinkley Point – malgré l’opposition du directeur financier, Thomas Piquemal, qui a démissionné et des salariés par l’intermédiaire des syndicats de l’entreprise (une première dans ce secteur).

Des manquements criants au droit international : le non-respect de la convention Espoo

Le hic, c’est que ce projet pose quelques problèmes de régularités au niveau international. D’abord, il n’est pas sûr que les compensations à l’achat de l’électricité produite à Hinkley Point promises par le gouvernement britannique soient conformes au droit de la concurrence européen. Ensuite, l’Angleterre semble avoir manqué au devoir de consultation de ses partenaires européens exigé par la mise en œuvre d’un chantier aussi sensible pour les populations. Rappelons que la catastrophe de Tchernobyl a fait 900 000 morts et que contrairement aux légendes, les nuages radioactifs se jouent des frontières administratives.

C’est ce manquement que constate le Conseil économique et social des Nations unies, réunissant les Parties à la Convention Espoo, qui s’est tenu en mars dernier (EN) pour parler du dossier Hinkley Point. La Convention Espoo, c’est un traité international, signé sous l’égide de l’ONU y compris par le Royaume Uni, qui impose de notifier aux Etats voisins tout projet qui peut avoir un impact sur eux afin que ces derniers puissent mener, le cas échéant, les consultations publiques nécessaires. Ce que les Britanniques se sont pour l’instant bien gardés de faire.

A défaut d’information spontanée volontaire de la part du Royaume-Uni, plusieurs pays ont manifesté leur volonté d’être informés de l’impact environnemental du projet. Parmi eux, l’Autriche qui a ainsi fait savoir au gouvernement britannique que contrairement à ce qu’il soutient, un accident grave ne peut être exclu, même si sa probabilité était faible et que des consultations publiques dans les Etats voisins auraient dû être menées. Les Pays-Bas, la Norvège et l’Irlande ont adopté une position similaire à la différence de la Belgique, de l’Espagne et bien évidemment…de la France, pour lesquels un tel projet ne nécessiterait pas une consultation des autres Etats.

Le gouvernement britannique rappelé à l’ordre

Les principaux reproches formulés étaient les suivants :

– Le gouvernement britannique n’a pas satisfait à son obligation de notification auprès des Etats voisins de Hinkley Point avant de procéder à l’autorisation du projet, causant ainsi un préjudice à la population des pays concernés qui se trouvait exclue du débat.

– Compte tenu de l’ampleur d’un tel projet et de la nature de l’activité concernée, le gouvernement britannique ne pouvait pas adopter un raisonnement en termes de probabilité de survenance d’un accident. Dès lors qu’il y a un risque d’accident, même un risque de survenance faible, alors celui-doit être pris en compte et donner lieu à des notifications.

– La nécessité de prendre en compte le « pire des scénarios » dans l’évaluation environnementale notifiée aux pays.

Le Comité a ainsi conclu au non-respect du Royaume-Uni de la convention Espoo, rappelant que même un risque faible ne doit pas être exclu. Peu importe que le risque soit incertain, la partie d’origine doit, conformément au principe de précaution, solliciter de façon “prospective et inclusive” tous les Etats susceptibles d’être impactés. Le Comité a donc demandé aux Britanniques de se conformer à la convention Espoo en entrant en discussion avec les pays concernés, notamment pour se mettre d’accord sur la nécessité ou pas, à ce stade du projet, de procéder à une consultation du public.

Cette sanction du Comité tranche nettement avec les arguments du gouvernement britannique qui pensait pouvoir se retrancher derrière la prétendue “solidité du système de régulation”.

Dissimulation

Des documents obtenus par nos collègues anglais (EN) montrent que le gouvernement britannique a sciemment choisi de ne pas divulguer un rapport interne pour préserver ses relations diplomatiques avec ses partenaires, arguant qu’il pourrait “mettre à mal ses relations internationales”. Ce rapport du National Audit Office, sorte de Cour des comptes britannique, analyse les grands projets d’infrastructure qui comportent des risques de débordements significatifs (en termes de coûts, de délais, etc.) et sont considérés comme problématiques. La liste de ces projets est donc actuellement secrète. Mais Hinkley Point semblerait en faire partie, d’après The Telegraph (EN).

Le nucléaire ne fait plus consensus

Cet épisode est révélateur de plusieurs choses. D’abord, le nucléaire civil est un sujet de polémique au niveau international : aucun consensus politique n’existe plus sur le sujet. Ensuite, il est aujourd’hui source de nombreuses tensions diplomatiques, qui mettent à mal l’édifice européen lui-même. Enfin, il force les différents Etats investisseurs à déroger au droit et à abriter leurs manœuvres loin du débat public et de ses procédures. Au-delà des risques considérables qu’il fait courir aux populations, le nucléaire civil n’a plus, aujourd’hui, de légitimité politique.

C’est pourquoi EDF doit cesser rapidement de s’enfoncer à Hinkley Point, et plus généralement dans une filière qui a fait son temps.