DCP échoué cherche son propriétaire

Les îles qui composent l’atoll Alphonse au large des Seychelles sont un vrai paradis tropical. Presque totalement inhabitées, elles sont très importantes pour la nidification des oiseaux marins et des tortues. Ces écosystèmes uniques sont entourés de récifs coralliens parmi les plus préservés au monde. Mais leur éloignement n’est aujourd’hui plus une garantie de leur préservation. L’impact de la pêche industrielle au thon tropical y est directement palpable. En effet, portés par des courants marins, de plus en plus de DCP viennent s’y échouer.

Les DCP attirent les thons mais également toute une variété de poissons qui seront pris dans la senne. (Océan Pacifique, 2009) © Paul Hilton / Greenpeace

Des milliers de DCP abandonnés chaque année

Une part importante des DCP déployés sur les zones de pêche par les thoniers senneurs n’est tout simplement jamais récupérée. Ces radeaux flottants, qui sont pourtant le plus souvent équipés de balises satellite permettant aux armateurs de les suivre, peuvent être perdus ou abandonnées, car ayant dérivés trop loin, ou tout simplement sabotés par des concurrents. D’après les estimations des industriels, environ 20% des DCP seraient ainsi perdus ou abandonnés. Comme le nombre de DCP réellement utilisés par l’industrie n’est pas public, on ne peut faire qu’une estimation de ceux qui sont abandonnés. Partant de l’hypothèse, probablement très largement sous-estimée, que plus de 10 000 DCP sont mis à l’eau dans la zone économique exclusive (ZEE) des Seychelles, on peut sans risque estimer qu’au moins 2 000 DCP fantômes dérivent tous les ans dans les mêmes eaux et donc finissent par s’échouer.

Ce n’est pas là une spécificité seychelloise. Le problème touche toutes les zones de pêche. Des DCP ont également été retrouvés sur les plages des îles au large de Madagascar. Le même problème a été rapporté par les autorités des pêche des Maldives alors qu’aucun thonier senneur n’est autorisé à pêcher dans les eaux maldiviennes, ce qui montre que les DCP peuvent voyager sur de grandes distances, certains ayant même traversé l’Atlantique. Déployés en Afrique de l’ouest, ils ont été retrouvé sur les côtes… du Brésil !

Retour à l’atoll Alphonse

L’ICS, l’ Island Conservation Society, qui est présente sur 5 îles de l’archipel des Seychelles, est une organisation locale de protection de l’environnement. Elle a avant tout vocation à mener un travail scientifique. Mais depuis plusieurs années, face à l’ampleur des dégâts, ses membres se sont également chargés de nettoyer les plages et récifs coralliens des DCP perdus ou abandonnées.
En 2011, l’ICS a commencé à documenter le problème et en 2015, avec le soutien financier de Greenpeace, une surveillance systématique a pu être mise en place et une base de données de tous les DCP échoués a été établie. Le résultat de ce travail a tout récemment été présenté à un groupe de travail de la CTOI, la Commission des thons de l’océan Indien.

214 DCP collectés depuis 2011

96 DCP échoués sur les plages ont été collectés lors de la mission menée par l’ICS depuis avril dernier. Ils ne représentent qu’une modeste partie de la totalité de ceux qui sont abandonnés tous les ans. Mais cet inventaire donne des informations précieuses. Sur les 214 DCP collectés depuis 2011, 128 de ces DCP étaient équipés de balise satellite, permettant d’identifier les coupables. 40% ont été trouvés pris dans les coraux. Or dans ces cas l’impact environnemental est encore plus grave, les filets du DCP accrochés aux coraux agissant comme de véritables pièges. Ces « filets fantômes » détruisent les coraux et prennent au piège de nombreuses espèces marines. Cinq d’entre eux ont été retrouvés avec des tortues de mer emmêlées dans les filets, une seule d’entre elles était encore vivante.

Les balises satellites des DCP permettent aux thoniers senneurs de les suivre en temps réel et d’évaluer la quantité de poissons présente. (Balise attachée sur un DCP par le thonier senneur Doniene dans le canal du Mozambique) © Pierre Baelen / Greenpeace

76% des DCP collectés appartiennent à des armateurs espagnols qui, en moyenne, abandonnent trois fois plus de DCP que les armateurs français. Ces statistiques s’expliquent très facilement, les armateurs espagnols ayant recours de manière beaucoup plus massive aux DCP que les français (jusqu’à 1 000 par marée).

Il est urgent que l’industrie fasse preuve de transparence et de responsabilité en fournissant toutes les informations sur le nombre de DCP déployés, tout comme le nombre de DCP qui sont perdus et leurs positions. Par ailleurs il est indispensable que le propriétaire de chaque DCP soit clairement identifié. Le principe du « pollueur payeur » doit là aussi s’appliquer : c’est aux responsables de cette pollution de payer la facture du nettoyage.

A défaut d’un panneau « Messieurs les Armateurs, prière de laisser cet endroit aussi propre que vous l’avez trouvé en arrivant », le secteur doit prendre ses responsabilités, en commençant par faire en sorte de ne plus laisser à l’abandon les DCP mis à l’eau.

Mais Greenpeace a une solution encore plus simple : pêcher sur banc libre, c’est-à-dire sans ces DCP. Bien sûr il est toujours difficile de décrocher d’une addiction, c’est donc à nous tous en tant que consommateur d’aider l’industrie à faire le pas. En effet, les consommateurs peuvent demander aux marques de ne vendre que du thon pêché de manière durable, sans DCP, et les armateurs s’adapteront.