Du 17 au 20 novembre, l'Assemblée nationale examinera la proposition de loi « Sécurité globale », soutenue par le gouvernement. Si une telle loi entrait en vigueur en l’état, elle constituerait une grave atteinte au droit à l’information, à la liberté d’expression, au respect de la vie privée et à la liberté de manifestation. Aux côtés d’autres organisations de la société civile, Greenpeace France décrypte les enjeux de ce texte et appelle à la mobilisation citoyenne.

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Sécurité globale, répression générale

Du 17 au 20 novembre, l'Assemblée nationale examinera la proposition de loi « Sécurité globale », soutenue par le gouvernement. Si une telle loi entrait en vigueur en l’état, elle constituerait une grave atteinte au droit à l’information, à la liberté d’expression, au respect de la vie privée et à la liberté de manifestation. Aux côtés d’autres organisations de la société civile, Greenpeace France décrypte les enjeux de ce texte et appelle à la mobilisation citoyenne.

Mise à jour du 20/04/2021: la loi pour « une sécurité globale préservant les libertés » a été adoptée le jeudi 15 avril 2021 par un ultime vote (75 voix pour et 33 contre) à l’Assemblée nationale.

L’article 24 créé finalement dans le Code pénal un nouveau délit, qui sanctionne d’une peine de cinq ans d’emprisonnement toute « provocation [dans le sens d’inciter, d’appeler] à l’identification » d’un gendarme, d’un policier, d’un agent des douanes ou de leurs proches, « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

Le Sénat a notamment écarté toute mention explicite à la diffusion d’images des forces de l’ordre, et a sorti la disposition du cadre de la loi de 1881 sur la presse. Des améliorations qui n’empêchent pas le flou qui persiste concernant la définition de l’incrimination. 

Certaines dispositions sont encore contestées et pourraient être attentatoires aux droits et libertés fondamentales.

Le 20 avril 2021, 87 député·es ont annoncé avoir déposé un recours devant le Conseil constitutionnel contre l’ensemble de la proposition de loi, estimant que la proposition de loi adoptée « méconnait notamment le principe d’égalité devant la loi en accentuant les inégalités territoriales en matière de sécurité publique, le droit au respect de la vie privée à travers l’extension des usages de la vidéo-surveillance et la légalisation sans garanties suffisantes de l’utilisation de drones ». L’article 24 est dans leur viseur : « en créant une nouvelle incrimination de “provocation à l’identification”, il porte « une atteinte évidente au principe de légalité des délits et des peines, au droit à la sûreté, et fait peser sur la liberté d’expression ainsi que sur la liberté de la presse une grave menace ».

Mise à jour du 30/11/2020 : la semaine dernière, le texte de loi sur la Sécurité globale a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale ; il doit à présent être examiné par le Sénat. Entre-temps, la mobilisation contre ce texte s’est exprimée avec force dans la rue, et l’actualité s’est tristement chargée de nous prouver, que ce soit avec le tabassage de Michel Zecler ou les violences contre les migrants, que les images que cette proposition de loi cherche à interdire sont plus indispensables que jamais.

Quel est le problème avec cette proposition de loi ?

Interdiction de diffuser des images des forces de l’ordre

Le texte prévoit la pénalisation de la diffusion d’images de membres des forces de l’ordre (police ou gendarmerie) agissant dans le cadre de leurs missions d’ordre public, portant atteinte à la nécessaire transparence de ces opérations. Il prévoit aussi des sanctions très lourdes (un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende), ce qui empêcherait tout contrôle citoyen, favoriserait l’impunité des auteurs de violences policières, voire permettrait aux forces de l’ordre de « cacher leurs dérapages ».

Comme le relève le Syndicat national de la magistrature, on glisse « d’un État de droit vers un État de police », et les forces de l’ordre seraient ainsi bien les seules « à échapper à l’honneur des caméras »…

« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup »

L’article 24 sanctionne la diffusion d’images du visage ou tout autre élément d’identification d’un membre des forces de l’ordre, « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

Pour la Défenseuse des droits comme pour nombre d’ONG, ce critère est imprécis, laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations et risque d’avoir un effet dissuasif sur les professionel·les de l’information qui travaillent sur le terrain tout comme sur les plateformes qui relaient leurs images, mais également sur tout citoyen·e, militant·e, manifestant·e qui filmerait les forces de l’ordre, ce qui est autorisé par la loi. C’est aussi l’avis de Reporters sans frontières :

« Face à un journaliste en train de les filmer, des policiers pourraient présumer que ses images sont diffusées en direct dans le but de leur nuire et pourront alors procéder à son arrestation en flagrant délit pour qu’il soit poursuivi. Même à considérer que le risque de condamnation est faible, le journaliste aura été arrêté et empêché de couvrir les événements. »

A noter que le numéro d’identification est le seul élément dont la divulgation est autorisée, mais qu’ils sont souvent cachés par les forces de l’ordre.

Nuclear Waste Train from France to Germany. © Martin Storz

Interpellation d’un militant lors d’une action de blocage de transport de déchets nucléaires, La Hague, novembre 2010.
© Martin Storz / Greenpeace

Des entraves à la liberté de la presse qui mettent la France en porte-à-faux avec ses engagements internationaux

Dans une tribune, nombre de journalistes et médias rappellent que la possibilité de filmer et diffuser des images des forces de l’ordre est essentielle à l’État de droit, et que la liberté de la presse est un contre-pouvoir essentiel de la démocratie :

« Sans ces outils, sans celles et ceux qui les braquent, combien de violences policières auraient été passées sous silence ? […] Qui aurait entendu parler de Geneviève Legay, militante pacifiste de 73 ans, gravement blessée à la tête dans une charge policière d’une violence inouïe ? Qui aurait entendu parler d’Alexandre Benalla […] ? »

En allant à l’encontre de la liberté de la presse, ce texte sape aussi le droit d’informer et de s’informer, ainsi que la liberté d’expression. Pour Amnesty International, cette proposition de loi conduirait la France à ne pas être en conformité avec ses engagements internationaux en matière de droits humains.

Image diffusée par Bastamag, © Serge D’Ignazio

Surveillance généralisée

Allant encore plus loin dans la surenchère sécuritaire, l’article 21 de la proposition de loi permettrait l’utilisation immédiate des images des « caméras mobiles » portées par les policiers, avec le risque de recours à la reconnaissance faciale en temps réel des manifestants, le risque d’arbitraire par des gardes à vue préventives ou l’empêchement de se joindre au cortège au mépris de la liberté de manifestation, estime la Ligue des droits de l’homme.

L’élargissement de l’usage des drones (article 22) pourrait dissuader des personnes de participer à des rassemblements pacifiques, notamment en raison de craintes d’éventuelles poursuites ultérieures. Amnesty International a déjà documenté, en France, des cas où des manifestants rassemblés pour défendre les droits des soignants, par exemple, ont reçu des amendes après avoir été identifiés par des caméras de surveillance.

Access Blockade Action with a Fire Truck in front of the Elysée. © Simon Lambert

Des activistes de Greenpeace bloquent un accès du palais de l’Elysée pour dénoncer la complicité du gouvernement français dans la déforestation en Amazonie.
© Simon Lambert / Greenpeace

Privatisation de la police

En l’état, le texte organise une privatisation de la police en contradiction flagrante avec les normes constitutionnelles en déléguant aux agents privés de sécurité des pouvoirs réservés à la police judiciaire, comme la verbalisation d’infractions et le relevé d’identité pouvant conduire à la rétention de la personne contrôlée.

Procédure accélérée

Alors que cette proposition de loi, présentée par des député·es de la majorité gouvernementale, porte lourdement atteinte à des libertés et droits fondamentaux, elle fait l’objet d’une procédure accélérée qui évince, de fait, le rôle législatif des parlementaires. Quelle urgence y a-t-il à faire adopter une telle loi, en plein confinement et en état d’urgence sanitaire ?

« Nous déplorons que cette proposition de loi soit examinée en procédure accélérée, alors qu’aucune urgence ne justifie ce choix. Cela a déjà été le cas ces dernières années pour plusieurs lois ayant un fort impact sur les droits humains […]. Cette procédure restreint de facto leur examen approfondi et l’information éclairée de la société. Nous regrettons que ce texte ne fasse pas exception à la règle », déplore Amnesty International France.

Cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte d’augmentation des répressions policières et des attaques en justice disproportionnées. Ces coups de boutoir portés à la liberté de manifester depuis plusieurs années, et qui visent parfois directement les activistes de Greenpeace, n’ont qu’un seul but : museler la contestation et les mouvements de désobéissance civile.

Pour préserver nos droits fondamentaux, la démocratie et l’État de droit, Greenpeace France demande le rejet en l’état de cette proposition de loi liberticide, et vous invite à rejoindre les mobilisations en ligne d’Amnesty International et la Ligue des droits de l’homme. Ensemble, interpellons les parlementaires pour protéger nos libertés !